Effets de la violence conjugale sur les victimes

L’enquête nationale Enveff a montré que c’est dans la vie de couple que les femmes adultes subissent le plus de violences physiques, psychologiques et sexuelles.

Réalités Familiales n°90
Réalités familiales n°90 Violences conjugales

Pr M. Debout
Chef du service de Médecine Légale CHU de Saint Etienne

Depuis la publication de l’enquête nationale (dite Enveff), l’ampleur des violences conjugales est connue en France. Cette enquête a montré que c’est dans la vie de couple que les femmes adultes subissent le plus de violences physiques, psychologiques et sexuelles. Tous les groupes sociaux sont exposés, les inégalités socio-économiques étant cependant des facteurs aggravant, notamment le chômage.

Les effets physiques

La violence au sein du couple a une incidence majeure sur la santé des femmes, que ce soit du fait des blessures provoquées ou des affections chroniques qu’elle peut engendrer. Les coups reçus, l’état de tension, de peur et d’angoisse dans lequel elles sont maintenues par leur agresseur, ont de graves conséquences et sont à l’origine de troubles variés, notamment anxiodépressifs. Selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), les femmes victimes de violences conjugales perdent entre une et quatre années de vie en bonne santé [1]. Les lésions traumatiques sont souvent multiples, d’âge différent et de nature très variées. Mais les violences physiques ne sont jamais isolées. Elles sont accompagnées d’injures, de menaces, de pression, de négation de la victime en tant que personne respectable et précèdent le plus souvent des rapports sexuels forcés.

Les effets psychiques

La violence psychologique peut aussi exister séparément ou n’être qu’un préalable à la violence physique. C’est une violence faite d’attitudes ou de propos humiliants, dénigrants, méprisants, de menaces ou de chantage. Cette violence insidieuse se poursuit sur une période souvent très longue. Par un phénomène d’emprise, la victime subit les pires avanies pendant des années, cherchant parfois même des excuses à son partenaire. L’état de tension, de peur et d’angoisse dans lequel les femmes maltraitées sont maintenues par leur agresseur peut produire différentes formes de troubles psychiques.
Plus de 50 % des femmes victimes de violences conjugales font une dépression. Elles peuvent être la conséquence naturelle d’une situation dans laquelle la femme se sent ou est réellement dans l’impossibilité de fuir. Elles peuvent être liées au sentiment que la vie du couple arrive à son terme, à une incertitude de l’avenir, à la peur des représailles, de perdre la garde de ses enfants, des difficultés économiques…
Les abus de substances psycho actives sont fréquents : consommation chronique et abusive de tabac, d’alcool, de drogues psycho actives, de médicaments analgésiques, anxiolytiques, antidépresseurs ou hypnotiques.

De nombreuses femmes victimes de violences conjugales présentent les signes d’un syndrome post-traumatique avec expérience itérative des événements qui reviennent en des pensées « intrusives », flash back, ou provoquent des cauchemars. Il peut même se mettre en place des états de désorientation ou de confusion mentale, avec pensées délirantes ou paranoïaques. On peut aussi constater des troubles réellement psychotiques, la violence conjugale pouvant révéler ou exacerber un état antérieur.

La peur de parler

Malgré cela les femmes ont une grande difficulté à se plaindre. Elles ont honte de leur situation. Leur vie de couple relève de la sphère privée qui les concerne elle et leur conjoint, dans l’intimité de leur relation. Il n’est jamais facile de les exposer en public à travers un dépôt de plainte. Ce l’est d’autant moins que la victime est attachée à son image sociale qui se trouve alors dégradée à ses yeux par la révélation de ce qu’elle subit.
Par ailleurs il est difficile pour la femme de projeter sur son conjoint l’exclusivité de la responsabilité de cette situation de violence. Elle cherche des excuses : il boit, il est au chômage, parfois il peut être si gentil… Admettre qu’il est à ce point violent et coupable, c’est dans le même temps reconnaître qu’elle s’est trompée sur lui, qu’elle a eu tort de s’engager, d’en faire le père de ses enfants. Se plaindre d’un mari violent, c’est reconnaître son erreur, et donc se mettre en cause et perdre un peu l’estime de soi dans une contradiction : se mésestimer parce qu’on est une femme battue ou se mésestimer d’avoir à s’en plaindre.

Le piège ainsi se referme exposant la victime à la répétition des violences d’autant que l’auteur peut par période laisser croire qu’il a compris et qu’il ne recommencera plus. Il peut même se constituer alors une « nouvelle chance » décrite parfois selon l’expression de « lune de miel » qui évidemment n’est que trompeuse et se conclura plus ou moins rapidement par un nouvel épisode violent. Dans une enquête [2] réalisée au Service de Médecine Légale du CHU de Saint-Etienne nous avons montré que la précarité sociale et le confinement du logement étaient des facteurs corrélés avec le risque pour la femme d’être victime de violences conjugales. Ce confinement, lié aux lieux, renforce les situations d’emprise (décrite par M. F. Hirigoyen [3]) qui organisent une véritable soumission psychique de la victime par rapport à l’auteur aboutissant à sa propre culpabilisation. Le silence s’installe, se transforme en une chape de plomb que, parfois, le risque pour les enfants du couple de devenir eux aussi les victimes directes des violences (ils sont les victimes « témoins » c’est pourquoi ils sont toujours en risque de souffrance psychologique) amène la conjointe à solliciter de l’aide ou à dénoncer son conjoint. Cette détresse et cet enfermement peuvent amener la victime à la tentation suicidaire comme seule façon d’échapper à une situation impossible à vivre.

La place des médecins

Cependant pendant cette période la victime aura l’occasion de rencontrer le médecin pour se faire soigner du traumatisme physique qu’elle explique souvent par des mensonges qui ne trompent pas ses interlocuteurs ; ceux-ci ne savent pas toujours comment réagir. Elle peut solliciter son médecin traitant pour des troubles variés notamment du sommeil, de la concentration ou des angoisses dont l’origine reste vague et peu concluante. C’est pourquoi le médecin doit toujours penser, devant un tableau clinique de ce type, à la violence conjugale. Il doit alors aider la patiente à sortir de son silence. Parce que c’est difficile pour elle le praticien devra prendre le temps de l’écouter, de la revoir, de lui dire qu’elle peut être aidée, soutenue médicalement et socialement et que la loi dorénavant la protège, que ce qu’elle vit est inacceptable et doit donc être dénoncé. Elle peut déposer sa plainte ailleurs qu’à la brigade de gendarmerie ou au commissariat de son lieu de vie où parfois elle est connue. Ainsi, le médecin doit construire avec la victime « un protocole de sortie » qui mettra parfois du temps, mais qui oblige les soignants face à cette patiente en danger. Tous les services de médecine légale ou d’urgences médicojudiciaires, connaissent des victimes qui sollicitent à plusieurs reprises un certificat de constat de blessures mais ne portent pas plainte pour autant.

Nommer la violence

Les campagnes d’information et de mobilisation sont nécessaires vers toutes les femmes et tous les acteurs médicaux et sociaux qui peuvent les rencontrer. Le choix pour 2010 des violences conjugales comme « grande cause nationale » est un élément important dans cette perspective.

La victime a besoin de reconnaissance. Reconnaître c’est d’abord nommer, donc ne pas confondre l’auteur et la victime, c’est la seule façon de permettre à celle-ci de dépasser son état et de se retrouver à égalité de dignité avec son « bourreau ». Il n’y à là aucune « victimisation sociale des femmes » : reconnaître et dénoncer ce qui s’est passé, ne pas enfermer de façon complaisante la victime dans une réalité indépassable, c’est au contraire lui permettre de s’en sortir.
Pour autant il est important de se préoccuper de l’auteur et de son devenir. C’est dans cette perspective que peuvent s’organiser des groupes de parole pour les auteurs de violences conjugales. Il ne s’agit pas d’une prise en charge qui reviendrait à donner à l’auteur le même statut que sa victime mais bien d’une prise en compte de la réalité des faits et de la nécessité pour lui de les regarder en face, d’en comprendre le caractère inacceptable et de s’engager à sortir de la relation de toute puissance qu’il a installée avec sa conjointe. Notre service de médecine légale en partenariat avec l’association SOS Violences Conjugales 42 a organisé des groupes d’antennes de violences conjugales depuis 2002 ; ces groupes sont intégrés par les personnes adressées par le parquet de Saint-Etienne.

Parce que cette violence s’inscrit dans le cadre plus large de la discrimination sociale dont les femmes sont victimes, il nous faut poursuivre dans la construction d’une société plus égalitaire donnant à chacune toute sa place.


[1] Les violences familiales – Rapport Henrion 2002

[2] « Précarité et victimes de violences volontaires : intérêt du score EPICES », presse médicale, Tome 38, juin 2009

[3] « Femme sous emprise : les ressorts de la violence dans le couple » M.F. HIRIGOYEN (2005) Paris Oh Editions