Expertise

L’Unaf a été auditionnée à l’Assemblée sur la proposition de loi relative à la charge fiscale de la pension alimentaire

Lundi 26 septembre 2022, l'Unaf a été reçue en audition par la députée Aude Luquet sur la proposition de loi relative à la charge fiscale de la pension alimentaire. L'occasion, pour l'Unaf, d'alerter sur la nécessité de prendre en compte l'intérêt de l'enfant dans ce transfert de la charge fiscale d'un parent sur l'autre.

Actualité législative

Lundi 26 septembre, Jean-Philippe Vallat et Claire Ménard ont été reçus en audition par la députée Aude Luquet sur la proposition de loi relative à la charge fiscale de la pension alimentaire.

En introduction, l’Unaf a rappelé quelques éléments de contexte concernant les familles monoparentales.

▪ La situation financière difficile dans laquelle se trouvent de nombreuses femmes célibataires qui ont la garde de leurs enfants à la suite d’une séparation fait l’objet de beaucoup d’attention de la part des pouvoirs publics et de nombreuses mesures ont été prises ces dernières années et seront aussi au cœur de l’actualité du PLFSS pour 2023 :

▪ La monoparentalité pose des difficultés d’organisation et entraîne une baisse notable du niveau de vie. Près de quatre familles monoparentales sur dix vivent aujourd’hui sous le seuil de pauvreté et plus de 2,8 millions d’enfants sont en situation de pauvreté ; 85 % des familles monoparentales ont à leur tête une femme.

▪ Par les séparations, les femmes sont touchées mais les hommes aussi. Une « augmentation » des prélèvements obligatoires sur les couples séparés du fait du transfert de la charge fiscale sur le débiteur de la pension alimentaire nous interroge. En quoi l’intérêt de l’enfant, objet de la pension alimentaire s’en trouverait amélioré ?

▪ Aujourd’hui la pension alimentaire, versée en cas de divorce ou de séparation de corps en vertu de
l’article 373-2-2 du code civil, ainsi que le complément sous forme de pension alimentaire prévu à l’article 373-2-4 du code civil, sont déductibles du revenu global de la personne qui verse la pension, mais constituent un revenu imposable entre les mains du bénéficiaire.

La présente proposition de loi vise à donc modifier les règles de l’impôt sur le revenu. Cela signifie que nous ne sommes pas sur des situations de monoparentalité et de pauvreté mais sur des familles monoparentales, qui, du fait de la séparation, ont une baisse de niveau de vie mais demeurent imposables. Toutes les familles monoparentales ne sont pas pauvres et il convient de ne pas mélanger pauvreté et appauvrissement lié à la séparation.

I/ La non-imposabilité limitée de la pension alimentaire pour son bénéficiaire et la non déductibilité fiscale pour son débiteur : un moyen de corriger les inégalités de revenus entre hommes et femmes ?

Sur ce premier point, l’Unaf tient à rappeler le sens et la motivation du versement de la pension alimentaire. Dans le Code civil, la pension alimentaire est intitulée « contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant ». Sa finalité est donc uniquement l’intérêt de l’enfant et faire que le parent, qui n’en a pas la charge effective et continue participe à l’entretien et à l’éducation de l’enfant.

Elle est donc distincte de la prestation compensatoire. Cette dernière intervient en cas de divorce pour compenser une différence de niveau de vie entre les deux ex-époux.

Ce rappel est d’importance car l’exposé des motifs de la présente proposition de loi introduit des éléments qui se départissent de l’entretien et de l’éducation de l’enfant et se raccrochent plus à la prestation compensatoire.

Pour ne prendre que deux exemples, l’exposé des motifs de la proposition entretient d’une certaine façon la confusion : « Le père verse une pension alimentaire parce que ses ressources sont supérieures à celles de la mère. Rappelons qu’aujourd’hui encore, les revenus des femmes sont largement inférieurs à ceux des hommes : compte tenu des inégalités en termes de volume de travail, les femmes perçoivent en moyenne une rémunération inférieure de 28,5 % à celle des hommes (INSEE première, n° 1803, 18 juin 2020). »

Deuxième citation qui entretient la même confusion « la séparation du couple a des conséquences majeures sur le train de vie de la mère : le revenu médian des femmes après une séparation se détériore de 31 % contre seulement 6 % pour les hommes (Y. Jauneau et E.Raynaud, Des disparités importantes d’évolution de niveau de vie, in Les revenus et le patrimoine des ménages : INSEE, 2009, p. 36) Une étude plus récente tirée des données fiscales sur les revenus (revenu du travail, du capital mais aussi pensions alimentaires) rapportées au nombre de personnes vivant dans le ménage quand les personnes étaient encore en couple et lorsqu’elles se sont séparées montre qu’un divorce ou une rupture de Pacs est à l’origine d’une perte moyenne de niveau de vie de 19 % pour les femmes et de seulement 2,5 % pour les hommes, (INSEE, Paris, 2016.) »

En conclusion de cette première partie, l’Unaf n’est pas favorable à une telle évolution de la charge fiscale des pensions alimentaires pour une double raison :

Une fois ces éléments de principe posés, l’Unaf souhaite alerter sur quelques conséquences possibles d’une telle évolution de transfert de la charge fiscale des pensions alimentaires des mères vers les pères.

II/ … toutefois de fortes interrogations sur le périmètre et l’efficacité de la mesure au détriment des pères, des mères et de l’intérêt de l’enfant.

▪ Sur les conséquences tout d’abord sur les mères, la non déductibilité pour les pères aura vraisemblablement une influence sur le montant à la baisse des pensions alimentaires au détriment des mères et des enfants. Le barème appliqué par la justice retient des montants planchers mais laisse une part de négociation entre les parties prenantes. La déductibilité applicable aujourd’hui est un élément important pour fixer le montant de pension alimentaire. A défaut de cette déductibilité fiscale, les négociations se tendront au détriment des mères. Cette baisse ne sera pas compensée par la baisse de son propre IR.

▪ Sur les conséquences pour les pères, il est important pour l’Unaf d’alerter ici sur les remontées que nous entendons des pères dans les situations de divorce ou de séparation. Nous avons organisé un colloque en 2018 suite à une enquête de l’Observatoire national des familles sur la place des pères et les paternités à l’épreuve. Dans les situations de divorce ou de séparation, une parole est revenue très souvent de la part des pères « nous ne sommes bon qu’à payer ».

Par cette réforme, nous renforçons cette tendance et nous amoindrissons encore un peu plus le rôle des pères auprès de leur enfant pour son éducation. Ce n’est pas un bon signal donné aux pères.

▪ Enfin sur l’intérêt de l’enfant, la non déductibilité va redonner de l’attractivité au partage de part de QF applicable en cas de résidence alternée. Sans forcément repasser devant le juge pour une modification des conditions d’accueil des enfants ou de redéfinition des conditions de versement des pensions alimentaires, il arrive que des pères demandent à la mère de la garde alternée pour bénéficier du partage des parts de QF. C’est un moyen aussi d’échapper à un versement de pension alimentaire. Les juges n’en ont pas forcément connaissance et le contrôle sur les conditions d’accueil des enfants avec le nombre de chambres suffisantes n’est pas effectif. La question de l’intérêt de l’enfant dans ces situations se pose.

Pour ne pas rentrer à nouveau dans une situation conflictuelle, les mères peuvent accepter de tels nouveaux arrangements. Ce détournement de la réforme souhaitée par la présente PPL n’est peut-être pas à négliger.

III/ Quelles autres évolutions possibles ?

▪ L’exposé des motifs prend le soin de rappeler une incidence directe de l’abaissement à deux reprises du plafond du quotient familial : « le plafond du quotient familial si cela pouvait constituer un réel avantage il y a encore dix ans, le plafonnement du quotient familial revu fortement à la baisse en 2012 et 2013, ne constitue plus aujourd’hui l’amortisseur qu’il était au départ. »

Sans revenir sur l’ensemble des plafonds de quotient familial fixés chaque année en loi de finances, une revalorisation de celui concernant les parents isolés ayant charge effective d’enfants pourrait être de nature à apporter une réponse aux situations visées par la présente proposition de loi. Ce plafond de la part supplémentaire parent isolé est de 3756 € pour 2022. L’Unaf ne dispose des paramètres pour en fixer le juste montant mais les données fiscales seraient utiles pour déterminer si ce plafond est suffisant ou non ? et à quelle hauteur il pourrait être porté pour remplir le même objectif que la présente proposition de loi sans pour autant se faire au détriment des pères.

▪ Une réflexion sur la bonification de l’APL pour le parent « non gardien » des enfants les accueillant ponctuellement et enlever certaines prestations de ressources.

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