Jeudi 15 décembre, la Directrice générale de l’UNAF, Guillemette Leneveu, accompagnée de Claire Ménard, Chargée des relations parlementaires, a été auditionnée par la mission d’information du Sénat sur le redressement de la justice présidée par Philippe Bas, en présence aussi de Jacques Bigot, sénateur. L’objectif de cette audition portait sur les attentes de la société civile à l’égard de la justice.
Les questions suivantes étaient posées à l’UNAF : « Compte tenu de votre champ d’activité, comment et dans quels cas êtes-vous confronté aux tribunaux ? Quelle vision avez-vous du fonctionnement de la justice judiciaire ? Quels sont ses défauts et qu’est-ce qui doit être amélioré en priorité pour assurer un meilleur fonctionnement de la justice ? »
La contribution de l’UNAF à cette mission d’information repose sur l’observation et les constats, qui remontent du réseau des UDAF. Nous nous sommes fondés sur le ressenti des familles, le vécu de nos services, animés par un souci de défendre les intérêts des familles et d’améliorer leur rapport à la justice dans les domaines des affaires familiales, de la protection juridique des majeurs ou encore de la lutte contre le surendettement.
A. Premier problème vécu par les familles, les délais des décisions et de leur exécution sont primordiaux pour la crédibilité et l’efficacité de la justice. Les juges sont garants de l’exécution des mesures qu’ils prononcent et la notion de temps n’y est pas indifférente.
Une décision récente du TGI de Paris du 21 novembre dernier en est la preuve s’il en était besoin : elle a condamné l’Etat à verser des dommages et intérêts à la plaignante du délai excessif pour divorcer. La décision mentionne un déni de justice et un dommage causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice.
Les constats de l’UNAF :
Le temps de la justice inquiète, c’est probablement l’un des reproches les plus récurrents que nous avons reçu !
De nombreux témoignages alertent sur une lenteur excessive dans les domaines du surendettement, de la conciliation, de la protection de l’enfance, de la protection juridique des majeurs et surtout au pénal.
Parfois, le temps de la prise de décision ou de l’exécution de la décision aggrave la situation de danger des personnes concernées, le plus souvent en situation de vulnérabilité.
Deux exemples précis viennent illustrer ce constat :
B. Seconde source de questionnement : la communication de la justice avec son environnement doit devenir plus accessible, plus lisible par les familles et par voie de conséquence plus efficace.
Cette recommandation se décline à deux niveaux :
L’UNAF considère que l’audience est un moment d’explication d’information et de discussion, qui ne doit pas être escamoté.
Exemple : dans les bilans d’activités des espaces-de-rencontre parents–enfants mis en place par des UDAF, il apparaît que le contenu des ordonnances du Juge aux affaires familiales fait l’objet de nombreuses questions des parents et des adolescents concernés. De même que les perspectives d’évolution de leurs droits et de leur situation nécessitent très régulièrement d’être abordées et clarifiées par les professionnels de ces espaces. Au-delà des rapports individuels rendus au magistrat, ces services constituent de sérieux espaces d’observations de la compréhension qu’ont les familles des attendus des décisions de justice et des enjeux qui y sont liés, ainsi que des inquiétudes qui s’en suivent.
C. Le manque crucial des moyens de la justice avec des conséquences sur les droits de l’enfant
L’UNAF apporte l’exemple des espaces-de rencontre qui sont des lieux d’exercice du droit de visite qui visent le maintien ou le rétablissement des liens entre les parents et leurs enfants dans des situations particulièrement conflictuelles ou lorsque des parents ont des difficultés personnelles, sociales ou d’ordre médical (toxicomanie, santé mentale, alcoolisme...). Leur activité est souvent liée à une ordonnance d’un Juge aux affaires familiales ou d’un juge pour enfants. Un certain nombre de parents les sollicitent directement.
Selon le rapport du Haut Conseil de la Famille (politique de soutien à la parentalité, septembre 2016), ¼ des demandes sont en attente (plus de 3500 mesures), la couverture territoriale est insuffisante et le manque de moyens est criant. Le financement pourtant très modique (14 millions d’euros) n’est que partiellement assuré par l’Etat (19 % par l’Etat, 40 % par les CAF et 34 % par les collectivités territoriales) d’où une fragilité financière particulièrement problématique pour un service public qui est destiné à mettre en œuvre une injonction judiciaire. Les UDAF confirment cette précarité de financement et la difficulté de gérer ce dispositif pourtant essentiel.
Outre la nécessité de renforcer le financement, des solutions alternatives pourraient être développées sur le nombre de mesures ordonnées par les juges, une très forte majorité montre au final une forme de « détournement » des espaces-de-rencontre. Les situations prises en compte par les juges concernent majoritairement la pauvreté des familles : parents (souvent des pères) qui n’ont pas de lieu pour voir les enfants (absence de logement personnel ou de logement adapté), parents qui habitent loin et qui n’ont pas les moyens de recevoir les enfants dans un tiers lieu une fois qu’ils ont payé leurs frais de transport, etc... donc, autant de parents et d’enfants qui n’auraient pas besoin d’avoir recours à un espace de rencontre (en tant que dispositif de soutien à la parentalité), avec la présence et l’étayage de professionnels mais plutôt à un autre type de dispositif qui semble manquer dans la palette actuelle malgré quelques initiatives éparses.
D. Les conséquences graves liées à la suppression du juge dans les divorces par consentement mutuel.
Si l’audience devant le juge peut paraître insuffisante, elle est pour autant nécessaire. La suppression du juge dans la procédure de divorce par consentement mutuelle va à l’encontre des justiciables et de la justice.
L’UNAF tient à redire ici son opposition à cette mesure et ceci pour plusieurs raisons dont une directement liée à la question du redressement de la justice.
- Importance de la place du juge, protecteur de l’intérêt supérieur de l’enfant, mais aussi de la partie la plus faible du couple, par sa vérification du consentement éclairé donné par les deux époux.
- Demain, avec des arrangements expédiés de manière encore plus express, avec des arrangements mal négociés, l’UNAF craint que cela conduise à des conflits et donc à plus de contentieux, avec des situations aggravées qui seront soumises au juge. Sauf erreur, les rapports indiquent que d’ores et déjà, 40% des divorces par consentement mutuel font l’objet de contentieux post divorces. Ce n’est donc pas une vue de l’esprit : le terme de « consentement » ne veut pas dire absence de conflit et de tensions.
- Le fait de consentir mutuellement se réduit souvent à une apparence : un des deux adultes subit souvent le divorce. Pour payer sa liberté, l’un des deux peut, soit tout laisser, soit tout demander. Lorsque les couples arrivent en médiation familiale demandée par les Juges, les seuls points d’accord souvent volent en éclat. Même en présence de convention, la médiation post-divorce est souvent l’occasion de tout expliciter, y compris les points d’accords qui avaient été pourtant trouvés au moment du divorce.
- Sur le plan financier, la réforme va augmenter les coûts pour les familles, ce qui est tout de même problématique puisqu’une des principales critiques des couples porte sur le coût du divorce. De plus, elle risque d’être plus couteuse pour la justice.
- L’impossibilité pour un Juge de vérifier la situation de l’enfant constitue pour l’UNAF une régression indéniable dans la prise en compte de son intérêt.
Pour décharger les Juges et greffiers, d’autres pistes sont pourtant possibles. Certaines d’entre elles ont été avancées par le Haut Conseil de la Famille, saisi par le Premier Ministre sur la question des ruptures familiales, dans un rapport d’avril 2014, parmi lesquelles :
E. Pour rendre la justice plus efficace : favoriser les modes alternatifs de règlement des litiges : la médiation familiale
Le principe même de la médiation vise à restaurer la communication et à préserver les liens entre les personnes et plus particulièrement les membres de la famille. Sa mise en œuvre doit se préparer et se travailler collectivement. Elle suppose un partenariat de tous les acteurs du litige familial (Juges, greffiers, avocats, notaires, médiateurs familiaux) réunis par le Président du Tribunal de Grande Instance, de concert avec le Bâtonnier de l’ordre des avocats.
Les 2/3 des médiations sont dites conventionnelles, c’est-à-dire à l’initiative des parents. Pour le 1/3 restant, il s’agit de médiations judiciaires.
Idéalement, la médiation familiale devrait pouvoir être entamée le plus rapidement possible.
Compte tenu des délais importants pour obtenir une audience devant le JAF, et afin d’enclencher le plus rapidement un possible recours à la médiation, l’UNAF est favorable à une généralisation de la « double convocation » par le JAF. Celle-ci doit être systématisée dans les cas de divorce ou séparation engageant des questions liées à l’exercice de l’autorité parentale ou les modalités d’organisation matérielle ou financière de la vie de l’enfant. Cette information à la médiation préalable devrait être gratuite et pouvoir avoir lieu tant au tribunal que dans des lieux de proximité (maison de justice, point d’accès au droit, service de médiation).
Une autre expérimentation est en cours dans le champ de la médiation familiale : celle de la tentative de médiation préalable obligatoire.
Les services de médiation ont actuellement à faire face à la demande croissante de séances d’information, parce que de plus en plus de magistrats ordonnent des séances d’information à la médiation. On observe une inégale couverture sur l’ensemble du territoire.
L’UNAF est également favorable à ce que le Juge des enfants ordonne une mesure de médiation familiale autant qu’il le juge utile. L’UNAF préconise donc que ce magistrat soit particulièrement sensibilisé à cette possibilité, qui lui permet d’ordonner une médiation :
La loi de modernisation de la justice du XXIe siècle a étendu l’expérimentation de la tentative de médiation préalable obligatoire. Dans le rapport précité du HCF, il est noté le risque d’éviction des médiations familiales conventionnelles au profit des médiations dans le cadre judiciaire.
La perspective d’une extension de la médiation judiciaire suppose qu’on dispose de suffisamment de médiateurs familiaux sur tout le territoire. Une pression sur l’offre pose aussi la question de la qualité de la formation des médiateurs familiaux et des moyens suffisants pour répondre correctement à ces enjeux.
Le budget de la médiation familiale est trop modeste avec 24 millions d’euros. Il ne suffit pas à l’heure actuelle à couvrir les demandes par voie conventionnelle : toute extension doit passer par la question du financement, en rappelant qu’un des objectifs est de désengorger la justice.
La Cour des comptes a rendu un rapport à la Commission des lois de l’Assemblée nationale portant bilan de l’application de la réforme de 2007 sur la protection juridique des majeurs. Ce rapport appelle, de la part de l’UNAF, les remarques suivantes en notant leur impact sur la justice.
Les délais de réponse aux requêtes ou de jugements peuvent être très longs. Les magistrats et greffes sont peu disponibles du fait de la charge de travail. Il y a un certain nombre de postes de magistrats ou greffiers vacants.
L’UNAF souhaite que soient levés les obstacles de la faible mise en œuvre de cette mesure de protection de l’enfance, en permettant la possibilité d’un prononcé de MJAGBF après échec de toute prestation d’aide sociale à l’enfance rendue au domicile, et non pas uniquement de la MAESF.
Cette évolution vise ainsi à soutenir les familles en difficulté, car soutenir les familles, c’est aussi soutenir l’enfant et prévenir des mesures de placement parfois traumatisantes et beaucoup plus coûteuses pour la collectivité.
@ : cmenard unaf.fr
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