En France, les familles nombreuses, loin d’être marginales, sont un phénomène massif et durable : un enfant sur trois vit en famille nombreuse* et avoir au moins 3 enfants est l’idéal personnel d’un tiers de la population… Pour mieux les connaître, les représenter et répondre à leurs besoins, nous leur avons consacré notre dernier Observatoire des familles.
Par Morgane Lenain, Administratrice de l’Unaf en charge de la consommation
Menée auprès de 31 000 familles partout en France, cette enquête rappelle les contraintes spécifiquement vécues par les familles nombreuses, comment elles pèsent dans leur budget et pourquoi il est nécessaire de les aider.
Le budget représente la première difficulté ressentie par les familles nombreuses : comme les familles de deux enfants, elles sont environ deux tiers à avouer avoir du mal à boucler leur fin de mois. Cette difficulté s’accentue avec le nombre d’enfant : ainsi, ce sont 73 % des familles de 4 enfants et plus qui se sentent concernées.
Nous avons cherché à approfondir cette question budgétaire en identifiant les postes de dépenses les plus contraints. Ainsi, pour les dépenses affectées aux vacances et au loisir, les familles interrogées estiment qu’elles n’ont plus de marge de manœuvre. Ces dépenses apparaissent comme des variables d’ajustement des budgets des familles. Les dépenses incompressibles, qui ne peuvent faire l’objet d’économies d’échelle, comme la restauration scolaire des enfants et les frais liés à leurs études, ou encore la nourriture, font aussi apparaître des différences très marquées selon le nombre d’enfants. La restauration scolaire est un point de tension pour 24 % des familles ayant 4 enfants et plus contre seulement 16 % des parents de 2 enfants ; les frais liés aux études supérieures ne constituent un problème majeur que pour 16 % des parents de 2 enfants contre 32 % des parents de 4 enfants et plus. Même en tenant de l’effet d’âge des répondants, ces différences sont très significatives.
Autre particularité des familles nombreuses qu’il convient de rappeler : celle de la contrainte en temps. Si l’arrivée d’un enfant pèse sur le niveau de vie, c’est certes par les dépenses additionnelles qu’elle suppose, mais plus encore parce qu’elle s’accompagne bien souvent, d’une baisse contrainte de l’intensité d’emploi des parents [1]
et donc des revenus du foyer. Un enfant de plus accroit en effet la contrainte de temps pesant sur les deux parents, et plus encore sur les familles nombreuses. Un parent de famille nombreuse voit son temps « personnel » (sommeil inclus) se réduire d’un quart par rapport à s’il était en couple sans enfant. S’il travaille à plein temps et que le dernier né a moins de 3 ans, il n’a en moyenne que 11 heures par jour pour dormir, se laver, manger et bénéficier de loisirs [2]. Un tel rythme est difficilement compatible avec un emploi à temps plein : avoir trois enfants est ainsi souvent synonyme d’activité professionnelle réduite ou suspendue. Un coût en temps principalement supporté les mères et qui perdure au moins en partie lorsque les enfants grandissent [3]. Le taux d’emploi des mères de famille nombreuses (59 %) est ainsi très inférieur à celui des mères de deux enfants (77 %) [4] et la part de mères en emploi à temps partiel est plus élevée : 44 % contre 34 % [5]. Du fait de ces moindres taux d’activité, et en dépit des prestations familiales, le niveau de vie des familles nombreuses est très inférieur à celui des familles de un ou deux enfants. En effet on peut affirmer que si l’on ne considère que les dépenses monétaires (en excluant les coûts en temps), les prestations sociales et avantages fiscaux aux enfants ne couvrent qu’un quart (26 %) du coût normatif moyen des enfants [6]. Les couples ayant deux enfants à charge « perdent » ainsi 5 % de niveau de vie médian par rapport à celles qui n’en ont qu’un seul. Celles ayant exactement 3 enfants à charge en perdent 14 % par rapport à celles qui n’en ont que deux [7]. L’absence d’activité professionnelle étant la principale cause de pauvreté, Il n’est donc pas étonnant qu’un quart de la population vivant en famille nombreuse vive au-dessous du seuil de pauvreté.
Pour toutes les raisons précédemment évoquées, la politique familiale soutient particulièrement les familles nombreuses. Or, les prestations monétaires
et notamment les allocations familiales ont été profondément réformée, surtout depuis 2012. Ces coupes ont donc particulièrement concerné les familles nombreuses. Notre observatoire des familles confirment ce sentiment d’abandon : une grande partie d’entre elles se sent moins soutenue face à leurs besoins et leurs difficultés. Une proportion importante des familles de 3 enfants (35 %) et 4 enfants et plus (39 %) partagent le sentiment d’être moins soutenues qu’auparavant par les politiques publiques, contre 8 ou 11 % qui se sentent davantage soutenues.
Les familles nombreuses interrogées expriment toutes des attentes fortes et un besoin de soutien. Les familles de deux enfants et plus sont celles qui montrent le plus d’intérêt pour les aides financières directes et l’accès à des services. À partir de trois enfants, les familles se distinguent pour leur intérêt pour les tarifs préférentiels pour les biens de consommation courante, les chèques services et les bons d’achat. Leur volume de consommation étant plus important, l’enjeu de tarif plus bas l’est aussi. Enfin, quels que soient leur niveau de vie, les familles nombreuses plébiscitent les allocations familiales, qu’elles estiment à revaloriser.
Les différences entre familles nombreuses selon les catégories sociales existent, mais notre Observatoire montre qu’il existe une incontestable unité de vue et de besoins entre elles. Si les familles nombreuses appartenant aux catégories populaires sont davantage concernées par la question du niveau de vie et les catégories aisées par la conciliation, on observe qu’elles partagent toutes très fortement ces deux préoccupations. l
Une approche « conso » des familles nombreuses : la Carte familles nombreuses
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Réalités Familiales n° 126-127 : « Défense des consommateurs »
Prix : 10 € + 3,15 € de frais de traitement, à commander à l’UNAF, Service communication : 28, place Saint-Georges 75009 Paris Tél. : 01 49 95 36 00
E-mail : realites.familiales unaf.fr
[1] Jean-François Eudeline et al., « L’effet d’une naissance sur le niveau de vie du ménage » (in « Les revenus et le patrimoine des ménages 2011 » INSEE Références,), https://www.insee.fr/fr/statistiques/1373805?sommaire=1373809.
[2] Olivia Ekert-Jaffe, « Le coût du temps consacré aux enfants - Document de travail n°163 » (INED, 2010.),
http://ces.univ-paris1.fr/membre/seminaire/GENRE/Ekert-Jaffe.pdf.
[3] Voir, J. Moschion, « Offre de travail des mères en France : l’effet causal du passage de deux à trois enfants », Economie et statistique, n°422, 2009, p. 51 à 78
[4] Eurostat –Table lfst_hheredch – 2017 – femmes âgées de 15 à 64 ans
[5] Eurostat – Table lfst_hhptechi – 2017 – même champ
[6] Coût de l’enfant selon les calculs de l’ONPES
[7] Données Enquête revenus fiscaux et sociaux 2015 - https://www.insee.fr/fr/statistiques/fichier/3225618/irsocerfs2015_ti12.xls - Calculs UNAF