Protéger sans diminuer

Grâce aux progrès de la science et notamment de la médecine, nous vivons plus longtemps. Mais, à mesure que nous avançons en âge ou parfois à la suite d’un accident, nos capacités diminuent … Nous pouvons perdre tout ou partie de notre autonomie, devenir fragiles et vulnérables et, bien que nous conservions en nous une force vitale, il est important que nous puissions bénéficier, au-delà des aides matérielles quotidiennes, d’une forme adaptée de protection juridique.

Réalités Familiales n° 128/129
Michel Fohrenbach RF 128-129

Réalités Familiales n° 128/129

Par Michel Fohrenbach, administrateur en charge de la protection juridique des majeurs, Unaf

Lorsque nous étions en totale possession de nos moyens, nos décisions n’étaient pas orientées uniquement par notre intérêt. Nous prenions les décisions qui nous plaisaient. Lorsque nous devenons dépendants et vulnérables, il faut, dans la mesure du possible, que la protection dont nous bénéficions respecte nos volontés. C’est la reconnaissance de la vulnérabilité comme élément inhérent de notre humanité qui explique que notre vie conserve une valeur intrinsèque et que notre dignité doit être respectée.
Cela suppose à la fois une grande souplesse dans les dispositifs juridiques de protection et une réflexion éthique de la part de ceux qui exercent ces mesures de protection. Nos proches, s’ils sont désignés par le juge pour assurer notre protection juridique, ont besoin d’un soutien pour faire face à ces enjeux.
A l’instar de ses voisins européens et outre atlantiques, il était nécessaire pour la France de construire des dispositifs vecteurs de l’expression et du recueil des volontés des personnes (personne de confiance, directives anticipées, mandat de protection future,…).
C’est un véritable changement de paradigme qui s’opère, sous l’influence de la Convention internationale des droits des personnes handicapées, ratifiée par la France en 2010. Le principe de l’intérêt supérieur de la personne accompagnée fait place au respect de ses choix et de ses volontés.
Ainsi, les évolutions de notre système français tendent vers le développement de mesures de protections plus respectueuses des libertés individuelles, mais aussi moins encadrées juridiquement. Les familles seront ainsi de plus en plus encouragées à s’impliquer dans la protection d’un proche : dans quelles conditions ?
Le droit de la protection des personnes majeures vulnérables (tutelle, curatelle, sauvegarde de justice, habilitation familiale, mandat de protection future) permet une protection de la personne et/ou des biens, pour éviter d’éventuels abus. Il s’agit aussi d’éviter les dommages qu’elles pourraient se causer à elles-mêmes. C’est un véritable enjeu de société, d’autant plus important que l’exercice de ces mesures touche au respect de la dignité, à l’autonomie et à la qualité de citoyen des personnes.

Renforcer les droits fondamentaux des personnes protégées

Le droit de la protection juridique des majeurs (PJM), réformé en profondeur par la loi du 5 mars 2007, est fondé sur des principes et règles qui encadrent strictement le prononcé de ces mesures, compte tenu de l’atteinte à la capacité juridique des personnes bénéficiaires.
Or, l’article 12 de la Convention internationale du droit des personnes handicapées, qui pose le principe d’égale personnalité et le maintien de la capacité juridique, est venu influencer notre droit. Plus récemment, le rapport d’Anne Caron-Déglise sur « l’évolution du droit de la PJM » s’est emparé de ces considérations et notamment de revendications portées par l’Unaf, autour de l’effectivité des droits des personnes.
En conséquence, le législateur est venu de nouveau modifier en 2019 [1] les dispositions législatives encadrant la « protection juridique des majeurs ». Il fallait prendre en compte d’une part cette volonté de renforcer les droits fondamentaux et les libertés individuelles des personnes protégées (ouverture du droit de vote sans restriction pour les personnes en tutelle, …), d’autre part la primauté familiale dans l’exercice de ces mesures (primauté du mandat de protection future, mesure qui permet d’organiser par anticipation sa vulnérabilité – extension de la mesure d’habilitation familiale).
Nous passons progressivement d’un modèle « de la réadaptation et de la protection », à un modèle de « promotion des droits », visant à assurer la mise en œuvre concrète des droits humains fondamentaux. La volonté de la personne est considérée aujourd’hui comme supérieure à toute expertise et comme l’expression de sa liberté fondamentale. Liberté de choix, respect de la dignité et de l’autodétermination de la personne dépendante : c’est l’esprit dans lequel sont désormais envisagés les différents régimes de protection juridique.

Soutenir et renforcer la place des familles

Plus de la moitié des mesures de protections sont exercées par les familles. Les soutenir et les accompagner est donc indispensable tant pour renforcer les droits des personnes protégées que pour accompagner le mouvement de déjudiciarisation à l’œuvre. Les familles peuvent trouver un grand nombre d’informations sur le site internet « protégerunproche.fr », dont le démarrage est prévu début 2020, mais le contact avec un professionnel est indispensable. Les Udaf sont engagées à leurs côtés au travers des services d’information et de soutien aux tuteurs familiaux (ISTF), qui répondent à leurs besoins à deux niveaux : avant toute décision de protection et en cours de mesure. En amont, l’information et la compréhension des proches et de la personne elle-même sur les différents dispositifs et leurs conséquences permettent de faire les choix les plus appropriés. Durant l’exercice de la mesure, ils assurent aux tuteurs en exercice un soutien de proximité.
Le développement de l’habilitation familiale (étendue désormais au régime de l’assistance) constitue une avancée dans la place accordée aux familles et aux proches en matière de protection. De ce point de vue, la loi du 23 mars 2019, réformant la Justice, apporte avec l’habilitation davantage de fluidité et de souplesse qu’avec la tutelle ou la curatelle. Cela permet d’adapter la protection aux besoins de chaque personne vulnérable, en envisageant son environnement familial. Du fait des modalités simplifiées de l’habilitation, un plus grand nombre de familles seront encouragées à s’impliquer dans la protection d’un proche.
Toutefois, s’il convient de ne pas avoir de défiance abusive à l’égard des familles, il ne faut pas non plus surestimer leur capacité à assumer seules la charge de protection d’un proche vulnérable. Aidant familial*, mandataire, personne de confiance* : les familles peuvent parfois ployer sous la charge. De plus, le juge n’ayant plus vocation à intervenir sauf exception, l’habilitation requiert un consensus et une bonne entente familiale durables, au-delà de son prononcé. Elle est totalement inadaptée aux situations familiales complexes ou conflictuelles, notamment en ce qui concerne les aspects patrimoniaux.

Dans le contexte de déjudiciarisation actuel, l’Unaf s’inquiète que l’ISTF ne vienne pallier le retrait des missions du juge et des greffes, en particulier pour l’habilitation familiale qui fonctionne quasiment sans autorisation ni contrôle.
Par ailleurs, il paraît essentiel de développer les espaces d’échange et d’entraide entre tuteurs familiaux, animés par des professionnels qui les sensibilisent également aux questions éthiques relatives à la bientraitance ou à l’accompagnement dans le respect des droits et libertés de leur proche vulnérable.
Dans les faits, aussi louables que soient les considérations éthiques et les exhortations à respecter les volontés des personnes protégées, elles restent de vaines incantations, faute de moyens concrets alloués à leur mise en œuvre.
La loi du 23 mars 2019 transfère plus de responsabilités aux familles, par le biais des habilitations familiales, afin d’alléger le travail des juges et de réduire les dépenses publiques. Dans l’exercice de la protection de leurs proches, les familles doivent être assurées de pouvoir bénéficier de services d’information et de soutien aux tuteurs familiaux, pérennes et présents partout sur le territoire.
Vivre plus longtemps est une chance. Protégés, entourés des soins dévoués de notre famille et de nos proches, en sécurité, nous pouvons lâcher prise à mesure que nos capacités diminuent. Car notre capacité d’aimer, elle, reste intacte. 

*Personne de confiance  :
Toute personne de l’entourage (parent, proche, médecin traitant) qui accepte de jouer ce rôle peut être désignée personne de confiance, pour représenter les intérêts
d’un individu qui n’est pas en état de s’exprimer. La désignation est généralement faite par écrit lors d’une hospitalisation.

Chiffres-clés

42%
des personnes protégées ont 60 ans et + dont 23 % ont plus de 75 ans [2]
730mille
personnes bénéficient d’une mesure de protection juridique car leurs facultés personnelles sont altérées par la maladie, le handicap, ou la dépendance. 2 millions de personnes pourraient ainsi être concernées à l’horizon 2040 [3].
1sur 2
Plus de 1 mesure sur 2 est exercée par les familles.
147 000
personnes protégées sont accompagnées par les services des Udaf, présents dans 92 départements. 85 % des personnes protégées ont des ressources inférieures au seuil de pauvreté.

Connaître les mesures

➜ Le mandat de protection future : possibilité pour les personnes majeures de désigner à l’avance une ou plusieurs personnes pour la représenter. Le mandant de protection future ne fait perdre ni droits ni capacité juridique au mandant. Elle permet à un parent de préparer la protection future d’un enfant.
➜ L’habilitation familiale : permet aux proches d’une personne de la représenter dans tous les actes de sa vie ou certains seulement, selon son état. Elle est ordonnée par le juge, mais une fois la personne désignée pour recevoir l’habilitation familiale, le juge n’intervient plus.
➜ La sauvegarde de justice : instituée à titre provisoire, elle protège une personne dont les facultés sont altérées de façon temporaire, pour qu’elle soit représentée pour un acte déterminé. La personne conserve l’exercice de ses droits et sa capacité juridique.
➜ La curatelle : elle concerne la personne qui a besoin d’être conseillée ou assistée dans les actes importants de la vie civile. Le niveau de protection (simple, aménagé ou renforcé) est déterminé par le juge mais dans tous les cas, la personne conserve partiellement sa capacité juridique et conserve son droit de vote.