1850-1995 – Les étapes de la politique du logement en France

En France, depuis la première moitié du XIXe siècle, le constat d’une crise du logement revient avec une grande constance. Est-ce à dire que les politiques publiques menées depuis plus de 150 ans ont été inefficaces malgré la pérennité de leurs débats sur la propriété, la régulation des loyers ou le rôle du logement du social ? Un regard vers le passé permet d’éclairer ces constantes et de pointer les ruptures qui caractérisent les étapes des politiques du logement jusqu’à la mise en place de leur cadre contemporain dans le courant des années 1990.

Réalités Familiales n°98/99
Le logement, une question familiale

Par Jean-Claude Driant, Professeur à l’Institut d’Urbanisme de Paris

De 1850 à 1948 : les fondations

Les historiens font remonter la politique du logement en France à la loi du 13 avril 1850 sur l’assainissement des logements insalubres1. C’est en effet la première intervention publique significative pour traiter l’habitat populaire des villes, dont les conditions avaient été jugées responsables de l’épidémie de choléra de 1832 et ses 18 600 victimes à Paris. La loi définit l’insalubrité et favorise l’intervention des communes pour obliger les propriétaires à réaliser des travaux dans les cas les plus graves. La mise en œuvre de la loi, soumise aux volontés municipales, resta très limitée, sauf à Paris2 mais, avec elle, l’idée que l’action publique locale pouvait s’impliquer dans la question du logement des classes laborieuses, avait fait son chemin.

Toutefois, en ces temps de révolution industrielle, c’est à l’initiative privée que revient l’essentiel de la production de logements destinés aux ouvriers. La maison ouvrière de la rue Rochechouart, les pavillons de l’avenue Daumesnil, le familistère de Guise, le village de Noisiel et les lotissements de Mulhouse en sont les exemples les plus connus ; reposant sur des modèles de sociétés très divers, mais pour lesquels le point commun est l’initiative patronale. Le mouvement s’organise entre 1885 et 1894, période au cours de laquelle sont créées les premières sociétés immobilières à vocation sociale, qui se réunissent en congrès à Paris en marge de l’Exposition Universelle de 1889, sous l’appellation « d’habitations à bon marché » (HBM).

C’est à partir de cette initiative que tout le système français du logement social va poser ses fondements institutionnels3. Les députés Jules Siegfried et Georges Picot font voter, le 30 novembre 1894 une première de loi en faveur des HBM « en vue de les louer ou les vendre », qui sera immortalisée sous le nom de « loi Siegfried » et sera principalement destiné à favoriser l’accession à la propriété des salariés4. Elle marque le début d’une activité législative sur l’habitation à bon marché, qui donnera lieu à trois autres lois : la loi Strauss du 12 avril 1906, la loi Ribot du 29 août 1908 et surtout la loi Bonnevay du 23 décembre 1912 qui complète le dispositif en autorisant les communes et les départements à créer des « offices publics d’HBM ».

A la veille de la Première Guerre Mondiale, toutes les « familles » de l’actuel « mouvement HLM » sont en place. La guerre stoppe net ce mouvement d’innovation et se traduit par de très importantes destructions dans la moitié nord du pays, aggravant la pénurie de logements qui touche le pays.

La crise du logement qui suit la guerre donne lieu, dès 1919, à des conflits sociaux qui conduisent le gouvernement à un contrôle drastique des loyers du secteur privé. C’est ainsi que, dans un contexte très agité, le gouvernement reconduit et généralise en mars 1919 le moratoire des loyers qu’il avait institué pendant la guerre au profit des familles de mobilisés. Ce moratoire, qui s’accompagne d’une très forte protection des locataires en place, restera en vigueur pour l’essentiel jusqu’en 1948. Il en a résulté une baisse de la rentabilité locative du logement populaire et un effondrement de la valeur des patrimoines correspondants, dont la conséquence fut le gel de l’investissement. Entre 1914 et 1939, alors que les salaires avaient été multipliés par 12, les loyers ne l’avaient été que par 35.

Parallèlement, face à l’ampleur de la crise, le début des années 1920 est marqué par le développement, par des acteurs privés peu scrupuleux, de grands lotissements souvent insalubres à la périphérie éloignée des villes principales et singulièrement autour de Paris6. Les « mal lotis », escroqués dans leur rêve d’accession à la propriété, se constituèrent peu à peu en un mouvement social emblématique de la culture ouvrière de l’entre-deux-guerres. Ce n’est qu’à partir de la loi Sarrault (15 mars 1928) qu’ils pourront faire financer, avec une contribution de l’Etat, les équipements qui leur faisaient défaut.

En 1928, la crise du logement reste très vive, lorsque le gouvernement lance un vaste programme de construction, destiné à favoriser l’accession sociale à la propriété. Ce programme, organisé par la loi Loucheur (du 13 juillet 1928), prévoit la construction sur cinq ans (1929-1933) de 260 000 logements, dont 60 000 à « loyer moyen » destinés aux familles de salariés. Ce programme ambitieux est cependant insuffisant par rapport à l’ampleur des besoins estimés à l’époque et est rapidement confronté à la crise économique mondiale. La loi Loucheur a finalement permis de construire 126 000 logements en accession à la propriété et environ 60 000 en locatif. C’est dans la région parisienne que les résultats s’approchent le plus des objectifs poursuivis, alors qu’en milieu rural, sa mise en œuvre est un échec.

Il faut toutefois insister sur l’importance des effets de l’introduction de l’aide à la pierre dans la structuration du logement social. C’est au cours de cette période que plusieurs offices publics prennent une importance considérable, tel l’Office Public d’HBM du département de la Seine, fondé et dirigé par Henri Sellier, à qui l’on doit les quinze cités-jardins construites en périphérie de l’agglomération parisienne. C’est aussi à cette époque que se constitue le fameuse « ceinture rouge » des boulevards des Maréchaux à Paris.

A la veille de la Seconde Guerre Mondiale, près de 300 000 logements HBM avaient été construits, dont environ la moitié dans le secteur locatif, ce qui, malgré la qualité de certaines réalisations, reste très insuffisant face à l’ampleur des besoins de la France ouvrière et urbaine.

De l’après-guerre au milieu des années 1970 : sortir du déficit

La Seconde Guerre Mondiale laisse un pays sinistré. Pour le logement, le bilan est très lourd, plus de 400 000 immeubles sont détruits et deux millions sont endommagés. Les conséquences du conflit se cumulent avec celles des insuffisances des politiques menées au cours de la période précédente, pour donner lieu à une pénurie dramatique.

Les premières années de l’après-guerre posent les premiers jalons de la relance. Le ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme est créé fin 1944 et, dès juin 1945 est instauré un prélèvement sur les loyers du secteur privé afin d’alimenter une Caisse nationale pour l’amélioration et l’entretien de l’habitat rural et urbain, qui deviendra en 1948 le Fonds national d’amélioration de l’habitat (FNAH), préfiguration de l’ANAH.

Les lois du 30 mars et du 3 septembre 1947 définissent les nouvelles modalités de fonctionnement des HBM, en particulier dans le secteur locatif. C’est un peu plus tard, par la loi du 21 juillet 1950, qu’ils deviennent des « Habitations à Loyer Modéré » (HLM). La même loi crée les primes et prêts du Crédit Foncier qui constituent le nouveau mode de financement de l’accession à la propriété.

La loi du 1er septembre 1948 complète le système avec pour redonner de l’air aux propriétaires du secteur libre, tout en évitant de créer un choc trop violent pour des locataires habitués depuis 30 ans à des loyers très bas. La loi libère les loyers des nouveaux logements et, pour ceux qui avaient été soumis au blocage des réglementations précédentes, institue un dispositif de rattrapage très régulé, tenant compte des ressources des occupants, et sous condition d’amélioration du patrimoine. Pour les ménages à bas revenus, l’augmentation des loyers est partiellement compensée par la création d’une allocation-logement.

Très rapidement, cet ensemble de mesures s’avère insuffisant pour stimuler un secteur économique totalement déstructuré et manquant des moyens financiers d’une relance rendue d’autant plus nécessaire que les mouvements revendicatifs se multiplient et se radicalisent.

L’année 1953 marque un tournant. Le logement est enfin considéré comme une des priorités et l’Etat engage un effort sans précédent pour favoriser la construction. C’est le plan « Courant », du nom du ministre de la Reconstruction, constitué d’une série de dispositions visant à fournir au secteur de nouveaux moyens financiers, afin d’atteindre un objectif minimum de 240 000 nouveaux logements par an. Le décret du 16 mars 1953 crée les « logements économiques et familiaux » (« Logeco ») et la loi du 10 juillet 1953 institue la participation des employeurs à l’effort de construction (PEEC), basée sur le versement, pour le logement, de 1 % de la masse salariale des entreprises. Afin d’obtenir la relance attendue, le plan « Courant » se fonde sur une politique de soutien au secteur de la construction en lui garantissant un carnet de commande suffisant et en favorisant son industrialisation. C’est le début de la production en série et l’occasion de mettre en place un ensemble de normes qui permettront la généralisation de l’eau courante, de l’électricité, du gaz et de la salle d’eau. Les grands ensembles sont nés. Dès 1953, la construction neuve passe la barre des 190 000 unités, et atteint les 270 000 l’année suivante.

Le 1er février 1954, le décès d’une femme, morte de froid à Paris, donne lieu au premier appel de l’Abbé Pierre, et provoque un électrochoc dans l’opinion qui conduira à ce que la presse appellera « l’insurrection de la bonté ». Le Parlement réagit à la hâte et vote trois semaines plus tard une série de mesures visant à construire rapidement 12 000 logements d’urgence. Par ailleurs, le décret du 27 mars 1954 institue le plafond de ressources et met en place une procédure destinée à assurer une meilleure transparence des attributions de logements HLM. 

En 1957, la barre des 300 000 unités est franchie (on ne redescendra pas au-dessous avant 1984) ; l’Etat est l’acteur dominant, aidant directement 88 % de la production. Quant au secteur HLM, il assure dès 1957 près de 30 % de la construction neuve.

La naissance de la cinquième République accélère encore ce mouvement, concrétisé par la série de décrets de décembre 1958, promulgués sous le titre : « Urbanisme, HLM, crise du logement ». L’un de ces textes prévoit que le ministre de la Construction arrête la répartition de « zones à urbaniser en priorité » (ZUP) qui comprendront au moins 500 logements, sur des sites à la périphérie des villes. La procédure des ZUP est facilitée par le rôle du préfet qui arrête le programme des travaux, le plan masse et le planning des réalisations ; il peut également exproprier les terrains nécessaires. La ZUP est donc une procédure très centralisée, mais d’une grande efficacité.

Parallèlement au développement de l’urbanisation nouvelle, l’Etat engage un vaste effort de renouvellement des quartiers anciens. C’est la « rénovation urbaine », également lancée à partir de 1958. Elle consiste en d’importantes opérations de démolition du bâti vétuste (les « îlots insalubres ») des secteurs centraux, remplacé, sur une trame rénovée, par de nouveaux îlots, de larges avenues et une séparation drastique entre l’espace des piétons et celui de l’automobile. Ces opérations conduisent généralement au déplacement des familles ouvrières qui peuplaient les quartiers populaires des centres anciens vers les grands ensembles périphériques.

Mais, dès la seconde moitié des années cinquante et surtout au début des années soixante, il apparaît également nécessaire de s’attaquer à d’autres formes nouvelles d’urbanisation : les bidonvilles. L’arrivée des rapatriés à partir de 1962 aggravera encore la situation. En 1966, la première enquête nationale sur le sujet recense 255 bidonvilles, dont près de la moitié en région parisienne, accueillant près de 50 000 personnes.

Parallèlement aux programmes locatifs, les organismes d’HLM contribuent à l’accession à la propriété, tandis que les prêts du Crédit Foncier de France continuent de se développer, à un rythme supérieur à 100 000 unités par an jusqu’en 1972, finançant surtout l’urbanisation diffuse de l’habitat pavillonnaire. L’épargne-logement complète le système à partir de la loi du 10 juillet 1965.

C’est ainsi qu’au cours des deux décennies qui séparent le plan Courant des conséquences du premier choc pétrolier, l’intense production de logements neufs transforme les paysages urbains du pays, mettant en place deux de ses formes archétypales : le grand ensemble et le lotissement pavillonnaire.
Le premier, d’abord valorisé comme symbole de la modernité, vecteur de la diffusion massive du confort sanitaire (la salle de bain y devient la règle dès le début des années soixante) et de la ville de l’automobile, accueille en son sein l’essentiel de la société française. Ce sont les processus sociaux consécutifs aux transformations économiques de la fin des trente glorieuses qui mettront à mal la diversité sociale des grands ensembles au début des années 1970.

D’autant que dans le même temps, les politiques d’appui à l’accession à la propriété contribuent à la diffusion du pavillon en lotissements périurbain, dont il s’avère rapidement qu’il recueille une très forte adhésion dans l’opinion. C’est à partir de la fin des années soixante et surtout au début de la décennie suivante que se développent à grande vitesse les « nouveaux villages » impulsés
notamment par la politique d’Albin Chalandon.

La construction neuve atteint son pic en 1973, avec 556 000 unités dont 64 % sont encore aidés par l’Etat. Ce résultat montre la réussite d’une politique qui est parvenue à remettre sur pieds, puis à rénover de fond en comble, le secteur du bâtiment. En atteignant un niveau de construction neuve jamais connu dans le pays, la production a contribué à résorber une crise sociale grave, autorisant, après vingt ans d’effort, un ralentissement progressif qui s’enclenche, après le premier choc pétrolier, en 1974 et s’appuie sur la montée des critiques faites aux politiques de la décennie précédente.

La critique de la rénovation urbaine prend forme dès le milieu des années 1960 quand les travaux de sociologie urbaine mettent en lumière les effets sociaux des transformations radicales des quartiers populaires7. La fin de la politique de rénovation urbaine ne sera effective qu’en 1978 avec l’arrêt de la procédure correspondante.
La critique des grands ensembles et des ZUP se développe également pendant toute la décennie 1960 ; plus aucune n’est lancée après 1969. La circulaire du 30 novembre 1971, « relative aux formes d’urbanisation adaptées aux villes moyennes », interdisait toute construction de tours ou de barres dans les agglomérations de moins de 50 000 habitants ; la circulaire du 15 décembre 1971 « relative à l’action sociale et culturelle dans les ensembles d’habitation » pointe « le malaise qui se développe parfois dans les grands ensembles » et soulève, entre autres difficultés, la question de la délinquance des jeunes dans ces quartiers.

L’arrêt de mort de la politique des grands ensembles est signifié par la circulaire « relative aux formes d’urbanisation dites « grands ensembles » et à la lutte contre la ségrégation sociale par l’habitat » d’Olivier Guichard en 1973. La politique des villes nouvelles prend le relai pour la production de logements, mais la crise consécutive au premier choc pétrolier change la donne : le rythme de la construction neuve baisse et un nouveau chantier de réforme s’ouvre.

Le tournant de la réforme de 1977

Les années 1973 et 1974 marquent un tournant majeur dans la vie politique française et, plus largement, pour l’économie mondiale. La fin du gaullisme est aussi celle du modernisme triomphant stoppé dans son élan.

Les antécédents de la réforme de 1977 8
Les contraintes imposées par la crise naissante conduisent à une réduction progressive des concours de l’Etat et la poursuite de l’encouragement à l’épargne privée. L’Etat appuie son argumentation sur les premiers signes sérieux de la résorption d’une pénurie quasiment séculaire. Le rapport Consigny de 1971 marque ainsi une rupture, en critiquant le caractère peu redistributif des aides à la pierre, les inégalités face aux régimes d’aides à la personne et l’absence de politique à l’égard des populations dites « spécifiques » (jeunes actifs, personnes âgées, handicapés).
A partir de là, le discours sur les politiques du logement change progressivement. L’année 1973 est la dernière année où plus de 60 % de la production bénéficie d’aides directes de l’Etat (HLM ou primes à l’accession). Dès 1974, la tendance s’inverse et quatre ans plus tard, la construction neuve a perdu presque 100 000 unités et la part du secteur libre dépasse 50 %.

Le milieu des années soixante-dix est marqué par un ensemble de réflexion sur les changements nécessaires à la politique du logement. Trois textes émergent de cette période : le Livre Blanc de l’Union des HLM en 19759, puis le rapport Nora-Eveno sur l’amélioration de l’habitat ancien10 et le rapport Barre sur la réforme du financement du logement11. Les constats émis par ces rapports convergent. Ils considèrent que la pénurie quantitative est terminée et que, dans ces conditions, le problème du logement n’est plus tant celui du nombre de ménages à loger, ni celui de la persistance de taudis et bidonvilles, que celui de la liberté de choix des statuts et de la qualité.
Chacun s’accorde à considérer que l’efficacité sociale des aides au logement est insuffisante et qu’il faut passer d’une logique d’aide à la construction à un système assis sur des aides personnelles « modulées de façon fine et continue en fonction du revenu12 ». Par ailleurs, l’efficacité acquise par le secteur du bâtiment permet, dans un contexte de crise économique consécutive au choc pétrolier de 1973, d’envisager un recul sensible des dépenses de l’Etat en soutien à la construction.
A ces constats généraux, s’ajoutent les conséquences des critiques formulées depuis le début de la décennie à l’égard des pratiques de production dominantes qui conduisent à opérer trois mutations complémentaires.

La première concerne les grands ensembles auxquels il est proposé de substituer une production plus attentive aux formes urbaines existantes. La deuxième touche à la qualité des bâtiments : dès lors qu’une production massive n’est plus nécessaire et que la hausse du prix du pétrole modifie la donne sur la consommation énergétique, l’amélioration de la qualité des logements devient un enjeu social, ce qui la rend prioritaire et impose des normes homogènes. La troisième mutation, fondée sur le respect du patrimoine et des quartiers existants, a sonné la fin de la politique de rénovation urbaine au profit de nouveaux modes d’intervention en termes de conservation et de réhabilitation.

Les principales composantes de la réforme
L’Etat tire les conséquences opérationnelles de ces constats, débouchant sur la loi du 3 janvier 1977 que l’on peut schématiser à partir de ses trois composantes principales.

La première est l’introduction de l’aide personnalisée au logement (APL) qui modifie les équilibres entre les aides à la pierre et les aides à la personne afin d’aider les ménages à assumer le coût de leur logement. Considérant que le secteur de la construction est désormais bien structuré et que l’épargne privée peut prendre le relais des aides budgétaires, l’accent peut être mis sur l’accompagnement du marché par la solvabilisation des ménages en ayant véritablement besoin. L’APL est la véritable clé de voûte du nouveau système, avec ce qui déclenche l’ouverture du droit à la recevoir : le conventionnement.

La deuxième composante de la réforme est la remise à plat des aides à la pierre. Le rapport Barre allait jusqu’à suggérer leur suppression totale, mais la résistance des HLM et de l’industrie du bâtiment ont eu raison de ce projet. Les aides ont toutefois été fortement réformées afin de réduire leur montant et de les simplifier. Les aides à la pierre sont réduites à deux catégories de prêts qui, malgré plusieurs réformes techniques, ont persisté jusqu’en 1995 pour l’un et 2000 pour l’autre : les prêts à l’accession à la propriété (PAP) et les prêts locatifs aidés (PLA) pour le secteur HLM.

La troisième composante de la réforme, tirée du rapport Nora-Eveno, est le renouveau de la politique appliquée à l’habitat existant. Dans le parc privé, aux aides de l’Agence Nationale pour l’Amélioration de l’Habitat (l’ANAH, créée en 1971), la loi ajoute un plan d’amélioration de l’habitat ancien et les opérations programmées d’amélioration de l’habitat (OPAH) sont créées par une circulaire du 1er juin 1977 afin de faciliter le recours aux aides de l’ANAH au sein de périmètres prioritaires.

Pour le parc social, principalement dans les grands ensembles qui commencent à se dégrader et souffrent de lacunes en matière d’isolation thermique, la loi crée la prime à l’amélioration des logements à usage locatif et à occupation sociale (PALULOS) outil financier parallèle au PLA pour l’amélioration des HLM existants. Le début du programme Habitat et vie sociale (HVS) en 1977 donne à la PALULOS ses premiers chantiers d’expérimentation.

Les années 1980 et le début des années 1990 : de l’échec de la réforme à la mise en place du cadre contemporain des politiques du logement

La réforme de 1977 a eu le mérite de rationaliser un système qui avait perdu sa cohérence, et de prendre acte des grandes évolutions économiques nationales et mondiales. Elle a introduit un mécanisme d’aide personnalisée qui constitue encore aujourd’hui le socle de l’action publique sur le logement.
En revanche, le constat qui a justifié cette réforme s’est avéré erroné, ou du moins en retard sur les effets de la crise économique et sociale qui ébranlait alors les pays industrialisés. La promotion sociale qui devait favoriser la mobilité des ménages et l’augmentation des revenus ne fut pas au rendez-vous, entraînant à la fois une insuffisance de l’offre de logements sociaux et une explosion des dépenses d’aide à la personne (pour dépasser 16 milliards d’euros en 2011).

Dans ce contexte, auquel s’ajoute le tournant politique de 1981 qui amène la gauche au pouvoir, les années 1980 sont caractérisées par d’importantes inflexions qui contribueront à dessiner les grandes lignes du cadre des politiques du logement contemporaines. Au cours de cette décennie marquée politiquement par deux alternances, le logement connait trois tendances qui mettent en orbite les grandes orientations des années 1990 et 2000 : les débuts de la décentralisation, des débats autour du secteur locatif privé qui met en avant l’idée de droit au logement et des réformes des aides qui s’adaptent aux nouvelles réalités sociales, économiques et budgétaires.

Les premiers pas de la décentralisation et l’émergence de l’objectif de mixité sociale
L’un des projets emblématiques de l’Union de la gauche arrivée au pouvoir en 1981 est la décentralisation. Les principes adoptés par les lois de de 1982 et 1983 reposent sur le transfert de blocs de compétences de l’Etat vers les différents niveaux de collectivités territoriales, c’est-à-dire principalement, à ce moment, les communes et les départements.
Le premier acte de la décentralisation « à la française » fait peu de place à la question du logement. Le choix de laisser entre les mains de l’Etat les compétences correspondantes repose sur une triple nécessité : garder la maîtrise des importantes masses financières engagées ; conserver une capacité de pilotage macro-économique du secteur du bâtiment et préserver le niveau national d’exercice de la solidarité. Sur ce dernier point, l’un des arguments majeurs est la crainte que l’émiettement communal conduise à des pratiques d’exclusion guidées par le souci d’une maîtrise du peuplement à des échelles hors de proportion avec les véritables enjeux du logement dans les agglomérations. A ce moment de la décentralisation, le pays manque encore d’un niveau territorial capable de prendre en mains une politique locale solidaire.

En revanche, l’urbanisme et les politiques sociales, deux domaines qui entretiennent des liens forts avec la question du logement, sont décentralisés respectivement aux communes et aux départements.

Au cours des années 1980, l’articulation indispensable entre les politiques de l’habitat et les compétences en matière d’urbanisme conduit à évoquer de plus en plus souvent la notion de « compétence partagée » alors que persiste la méfiance de l’Etat à l’égard des communes. Ce sont les manifestations de la crise des banlieues qui conduisent à mettre en avant, à partir de la fin de la décennie, un nouvel objectif de mixité sociale qui semble contradictoire avec des politiques municipales réputées favoriser l’entre soi. Les émeutes d’octobre 1990 à Vaulx-en-Velin accélèrent le processus. La loi d’orientation pour la ville (LOV) du 13 juillet 1991 comportera, pour la première fois, une obligation de produire des logements sociaux dans les villes qui en sont insuffisamment dotées.

Pour la répartition des responsabilités publiques en matière de politiques du logement, le début des années 1990 est donc marqué par une ambiguïté entre l’idée d’un partage de compétences entre l’Etat et les communes et celle d’une défiance ne pouvant être traitée que par la contrainte. Il faudra attendre la fin de la décennie, avec la loi Chevènement du 12 juillet 1999 pour que la montée en puissance de l’intercommunalité mette sur le devant de la scène les agglomérations.

La question sociale : débat sur le secteur locatif privé et émergence du droit au logement
Un autre débat occupe les années 1980 : celui du droit et des relations entre propriétaires et locataires. La décennie est le théâtre d’un échange très vif et teinté d’idéologie au rythme des alternances politiques, sur ces questions. Ces débats se traduisent par la succession de trois lois importantes : la loi Quilliot du 22 juin 1982, la loi Méhaignerie du 23 décembre 1986 et la loi Mermaz-Malandain du 6 juillet 1989, toujours en vigueur.

La loi Quilliot « relative aux droits et obligations des locataires et des bailleurs », s’ouvre sur une déclaration importante :
« Art. 1er – Le droit à l’habitat est un droit fondamental ; il s’exerce dans le cadre des lois qui le régissent.

L’exercice de ce droit implique la liberté de choix pour toute personne de son mode d’habitation et de sa localisation grâce au maintien et au développement d’un secteur locatif et d’un secteur d’accession à la propriété ouverts à toutes les catégories sociales. »

La relation est faite dès le début du texte entre la notion de « droit à l’habitat » et la question des rapports locatifs que le pouvoir socialiste de 1981 s’attache à rééquilibrer au profit d’une plus forte protection du locataire. Mais il s’avère rapidement que la réforme accentue un fort déséquilibre du marché déjà sensible, depuis la seconde moitié des années 1970, à la concurrence des placements financiers et à la dégradation de la rentabilité. Entre 1978 et 1984 le parc locatif privé a perdu plus de 600 000 unités, soit près de 12% de l’offre en seulement six ans.

Dès 1985, Paul Quilès, ministre socialiste en charge du logement s’alarme de cette situation et prend de premières mesures fiscales d’incitation à l’investissement, mais c’est Pierre Méhaignerie qui, après le retour de la droite en 1986, propose une loi d’inspiration très libérale « tendant à favoriser l’investissement locatif, l’accession à la propriété de logements sociaux et le développement de l’offre foncière ». Son article 55 abroge purement et simplement la loi Quilliot du 22 juin 1982, et avec elle, le fragile « droit à l’habitat ».

L’argumentaire repose sur le fait que, avec des règles plus favorables aux propriétaires, le marché s’équilibrera progressivement grâce à l’accroissement de l’offre, ce qui génèrera une modération des loyers. Mais la plupart des acteurs du secteur craignent une flambée des loyers et une précarisation du statut de locataire. A l’occasion de la nouvelle alternance de 1988, cette inquiétude conduit à remettre le dossier à l’ordre du jour. Un nouvel équilibre est trouvé avec la loi du 6 juillet 1989 qui permet de sortir le secteur locatif privé du débat idéologique qui a marqué la décennie. Son article premier reprend à quelques mots près celui de la loi Quiliot et instaure un nouveau « droit au logement ».

Restait à le mettre en œuvre. C’est l’objet, un an plus tard, de la loi du 31 mai 1990, dite « loi Besson ». Avec la montée du chômage, de la précarité et de la pauvreté (on parle alors de « nouvelle pauvreté »), les années 1980 avaient remis en lumière la problématique du logement des personnes défavorisées. La loi Besson institue un nouveau registre de politiques de l’habitat, ciblé sur les personnes en difficulté, et s’appuie sur une logique de contractualisation entre l’Etat et les conseils généraux, dont la loi de 1983 faisait les acteurs majeurs de l’action sociale. C’est la généralisation des plans départementaux d’action pour le logement des personnes défavorisées (PDALPD) et des fonds de solidarité logement (FSL). La loi Besson fait entrer les conseils généraux dans les questions d’habitat par la porte des politiques sociales orientées vers des publics cibles que les départements connaissent bien du fait des compétences acquises au cours de la décennie précédente.

Les réformes des mécanismes d’aide mis en place en 1977
Dès le début des années 1980 il apparaît que les grands principes de la réforme de 1977 posent problème. Ce constat entraîne une succession de retouches qui concernent aussi bien les aides à la pierre que les modalités de distribution des aides à la personne.

S’agissant de la production de logements sociaux est créée en 1988 la « ligne fongible » par laquelle la distribution des aides à la pierre (PLA et PALULOS) est arbitrée au niveau des services déconcentrés de l’Etat (les directions départementales de l’Equipement –DDE). C’est un premier pas vers une prise en compte plus efficace des spécificités locales. C’est aussi l’expression de ce qui sera la grande époque de l’amélioration du logement social jusqu’au milieu des années 1990.

Du côté de l’accession à la propriété, la baisse de l’inflation et les contraintes liées à la rigueur budgétaire ont progressivement conduit l’Etat à revoir la politique qui visait à aider les ménages modestes à devenir propriétaires. Les premières générations des PAP, assises sur une inflation élevée et des taux réels négatifs ont placé de nombreux emprunteurs dans des situations très difficiles lorsque les prix et les salaires ont cessé d’augmenter. La rigueur budgétaire a mis fin, dès le milieu des années 1980, au développement euphorique du début de la décennie, débouchant sur une forte réduction du nombre des PAP octroyés (divisé par 3,3 de 1982 à 1990, passant de 126 000 à 38 000 unités) et un net tassement de la primo-accession. Le PAP disparaît en 1995 au profit du nouveau prêt à taux zéro.

Enfin, dès le milieu des années 1980 commencent à apparaître les effets du caractère inégalitaire de la réglementation des aides à la personne. Tout l’édifice est revu, pour être généralisé, d’abord par le « bouclage » de l’APL dans le secteur social, qui débouche sur le conventionnement de presque tout le parc HLM, ouvrant l’accès à l’APL pour tous les locataires ; ensuite par la généralisation progressive des autres allocations logement dans le secteur libre, permettant de considérer, à partir de 1993, que tout ménage a droit à une aide personnelle.

Conclusion : vers les années 2010…

A mi-parcours des années 1990, les fondations des politiques contemporaines sont donc en place : renouveau du volet social, esquisse de décentralisation, début de réforme des mécanismes d’aides. Les alternances politiques et les soubresauts conjoncturels apporteront des accélérations et quelques remises en cause passagères, mais la longue marche continue au rythme de correctifs qui n’auront jamais l’ampleur du plan Courant ou de la réforme de 1977.
Le ministère de Pierre-André Périssol de mai 1995 à juin 1997 fut une phase d’accélération, marquée par la remise en cause des politiques de mixité sociale en atténuant l’effet de l’obligation de 20 % de logements sociaux, et surtout par une volonté de relance des mécanismes marchands après la crise immobilière de 1992 : création du prêt à taux zéro (PTZ) pour l’accession à la propriété, renforcement des aides fiscales à l’investissement locatif et introduction d’un taux réduit de TVA pour la construction des logements sociaux se substituant aux subventions directes. L’Etat envoie aux marchés immobiliers des signes de confiance dans leur capacité à prendre le relai de l’action publique.

Dans un premier temps, les résultats sont au rendez-vous, portés par une conjoncture favorable jusqu’au début des années 2000. La primo-accession reprend, la mobilité croît et la demande de logements sociaux se détend dans un contexte de croissance, de taux d’intérêts modérés et de baisse du chômage. Le retour de la Gauche au pouvoir en 1997 profite de ces circonstances et reprend trois de ses chantiers favoris : celui de la mixité sociale avec l’article 55 de la loi Solidarité et renouvellement urbains (loi SRU du 13 décembre 2000) qui durcit à nouveau l’obligation des communes ; celui du social avec le volet consacré au logement de la loi de lutte contre les exclusions du 29 juillet 1998, et celui de la décentralisation, avec la loi Chevènement du 12 juillet 1999 qui relance l’intercommunalité notamment en matière de logement.

Au cours des années 2000, le contexte évolue à nouveau. Les prix entament une ascension inédite et les marchés se retendent. Les enjeux d’accroissement de l’offre sociale refont surface et justifient une relance dans le cadre du plan de cohésion sociale, parallèlement au retour d’une politique de rénovation urbaine, ciblée sur les grands ensembles des années 1960 et 1970. L’acte II de la décentralisation (loi du 13 août 2004) introduit de nouvelles compétences pour les agglomérations et les départements en leur délégant, s’ils le souhaitent, la programmation locale des aides de l’Etat.

Mais le leitmotiv de la décennie est redevenu la construction, argumenté par l’idée que la faible production des années 1980 et 1990 a creusé un nouveau déficit, surtout dans les grandes agglomérations et dans la métropole parisienne. L’urbanisme de projets, les grandes opérations pilotées par l’Etat (comme l’illustre les projets du Grand Paris) et l’assouplissement des règles d’urbanisme sont revenus sur le devant de la scène, mais sans les moyens des vingt glorieuses.

Au total, plus de grande réforme. De crainte de bousculer un ordre complexe fait de dimensions interdépendantes et souvent contradictoires, renvoyant autant au social qu’à l’économique et
à l’urbain, les évolutions des politiques du logement semblent désormais cantonnées dans le champ des adaptations techniques. ■


1 – Bourillon, F. (2000), « La loi du 13 avril 1850 ou lorsque la Seconde République invente le logement insalubre », Revue d’histoire du XIXe siècle, 20/21
2 – Fijalkow, Y. (2000), « La notion d’insalubrité. Un processus de rationalisation, 1850-1902 », Revue d’histoire du XIXe siècle, n°20/21
3 – Guerrand R.-H. (1987) Propriétaires et locataires : les origines du logement social. 1850-1914, Paris, Quintette
Kamoun, P. (2011), Hygiène et morale. La naissance des habitations à bon marché, Union Sociale pour l’Habitat.communément, un phénomène qui pourrait croître avec l’extension des possibilités de travail dominical (Dares, mai 2009).
4 – Les bénéficiaires de la loi sont définis comme « personnes n’étant propriétaires d’aucune maison, notamment des ouvriers et employés vivant principalement de leur travail ou de leur salaire ».
5 – Voldman, D. (1988), « La loi de 1948 sur les loyers », Vingtième siècle. Revue d’histoire. N°20, p.95
6 – Fourcault, A. (2000) La banlieue en morceaux, la crise des lotissements défectueux en France dans l’entre-deux-guerres, Créaphis.
7 – Coing H. (1966) Rénovation urbaine et changement social, Les éditions ouvrières.
8 – Lefebvre B., Mouillart M., Occhipinti S., Politique du logement. 50 ans pour un échec, L’Harmattan, 1991.
9 – Union nationale des fédérations d’organismes HLM (1975) Propositions pour l’habitat, Livre Blanc.
10 – Nora S. et Eveno B. (dir.) (1975), Rapport sur l’habitat ancien, La Documentation française.
11 – Barre R. (dir.) (1976), Rapport de la Commission d’Etude d’une réforme du financement du logement, La Documentation française.
12 – Op. cit., p.27