En matière de conciliation, des attentes fortes qui nécessitent des réponses concrètes

Guillemette Leneveu, Directrice générale de l'Unaf "qu’est-ce que la conciliation entre vie familiale et professionnelle ?"

Réalités Familiales n° 136/137
G. Leneveu Réalités familiales conciliation

Réalités Familiales n° 136/137

par Guillemette Leneveu, Directrice générale de l’Unaf

Mobilisée de longue date sur les questions de conciliation entre vie familiale et vie professionnelle, l’Unaf a mené une large démarche d’enquête sur les besoins des parents à l’arrivée d’un enfant, dont les résultats ont été versés aux travaux de la mission Damon Heydemann. Remis à l’occasion du grand retour de la Conférence des Familles fin 2021, après 15 ans d’interruption, il a permis à l’Unaf d’élaborer des propositions pour répondre aux besoins exprimés par les familles.

Entre avril et juin 2021, l’Unaf, appuyée par le réseau des Udaf et des associations familiales, a collecté les témoignages et les suggestions de jeunes familles par plusieurs biais : des débats avec les parents organisés dans 12 régions de métropole et dans un département d’outre-mer, une étude quantitative réalisée auprès de 2 000 parents, et, enfin, une étude qualitative approfondie auprès de 45 parents.*

Mais d’abord, qu’est-ce que la conciliation entre vie familiale et professionnelle ?


Les mots sont importants : trop souvent, notamment dans la sphère publique, on parle de conciliation avec la vie « personnelle » en considérant que l’expression inclut la vie « familiale ». Cette dernière apparaît alors comme une aspiration individuelle, parmi tant d’autres,
comme la recherche de temps pour les loisirs, ou pour d’autres types d’activités. De même, au niveau européen, parle-t-on d’équilibre entre vie professionnelle et « vie privée » même lorsqu’il s’agit de traiter de questions qui concernent les parents ou les aidants familiaux. Or le temps familial n’est pas un sous-ensemble de la vie personnelle ou privée.

Certes, disposer d’une vie « personnelle » ou « privée » est important pour son équilibre ainsi que pour la société au regard des engagements, par exemple associatifs, qui peuvent être pris en dehors de la vie professionnelle. Mais ces temps relèvent de choix, là où le temps familial est plus que cela : il s’inscrit dans une fonction pour laquelle la Loi elle-même a fixé des obligations.

La vie familiale s’inscrit dans un réseau de responsabilités à fortes implications juridiques. Le terme « familial » renvoie à des responsabilités spécifiques que le salarié doit assumer, dans sa fonction de parent ou d’enfant. Le Code civil fait ainsi obligation aux parents, jusqu’à la majorité ou l’émancipation de leur enfant, d’assurer son éducation et de permettre son développement. Et à l’inverse, les enfants sont dans l’obligation de venir en aide à un parent dans le besoin. Concilier vie familiale et vie professionnelle, revient donc à assumer de front la responsabilité, non seulement d’entretenir sa famille, mais aussi d’y consacrer le temps nécessaire.

Ce que disent les parents


Les témoignages collectés par les études réalisées par l’Unaf confirment qu’il n’y a pas de parcours type, mais que tous les parents ont besoin de « lever le pied » à la naissance de leur bébé. La plupart sont obligés de jongler avec des moyens souvent informels pour pouvoir s’occuper de leur enfant.

Le rapport Damon Heydemann s’en fait l’écho : « Comme sur de nombreux sujets de protection sociale et de ressources humaines celui de la conciliation appelle à la fois de la systématisation (pour se développer) et de l’individualisation (pour s’adapter). En effet, les travaux de l’Unaf menés à l’occasion de cette mission soulignent que la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle n’est pas une affaire de prestation désincarnée. Chaque famille est particulière. Chaque enfant est singulier. Aussi, de nombreuses dimensions peuvent influer, l’Unaf les recense : le secteur professionnel dans lequel les parents travaillent, le niveau des solidarités familiales mobilisables, les conceptions de la parentalité chez chaque membre du couple, l’offre locale d’accueil, les contraintes financières familiales, le déroulement de la grossesse, le sommeil du bébé ».

L’arrivée de l’enfant bouleverse toute la vie des parents : 84 % des mères et la moitié des pères déclarent que la naissance a eu une ou plusieurs conséquences sur leur vie professionnelle. Pour les mères : réduction des horaires de travail (33 %), changement d’employeur (18 %), de poste (16 %), de métier (16 %), de lieu de travail (14 %), démission (7 %), rupture conventionnelle (5 %).

Après la naissance, les parents ne se sentent plus suivis. Une mère témoigne : « Pendant la grossesse on est hyper bien entourée, mais à partir de l’accouchement plus rien, on n’a plus de droit, personne ne nous suit. »

La reprise du travail est trop rapide. Deux tiers des mères utilisent une solution formelle ou informelle pour prolonger le congé maternité : congés payés, congé parental, chômage, congés, congés sans solde…

Laisser son bébé, si petit, est culpabilisant : 86 % des parents considèrent qu’ils sont eux-mêmes le meilleur mode de garde pour leur nouveau-né de moins de 6 mois.

Le retour en entreprise n’est pas facilité. Une mère témoigne : « L’employeur n’était pas conscient que j’avais un bébé, qu’il fallait aménager un minimum mon temps de travail pour que je puisse le voir. Ce n’était pas une vie, mentalement c’était très compliqué. »

Faire garder son bébé a un coût. Un père témoigne : « J’avais moins de 1000 euros, financièrement on ne pouvait pas faire garder notre fille, c’était trop juste. »

Dans certains cas, les parents ont encore plus besoin de temps (gémellité, prématurité, handicap). Une mère témoigne : « J’ai deux garçons qui sont nés prématurés. J’ai été obligée de prendre un congé parental : c’était soit les garçons, soit le boulot. »

La disponibilité des pères est compliquée. Une mère témoigne : « J’ai fait une dépression après l’accouchement, je me suis sentie complètement seule avec mon bébé, mon conjoint travaillait. »

Il y a un manque d’information sur les droits, notamment des pères. Un père témoigne : « Il y a plein de droits qu’on ne connaît pas. (…) J’aurais fait différemment si j’avais su. »
Les mères et les pères plébiscitent le congé parental, s’il était mieux indemnisé : plus de 90 % des mères et 60 % des pères auraient modifié leurs parcours s’ils avaient pu bénéficier d’un congé parental mieux indemnisé. Les cinq bénéfices présumés d’un congé supplémentaire indemnisé ou d’un temps partiel sont : moins de stress, plus de bien-être pour l’enfant, une meilleure situation économique de la famille, moins de fatigue, meilleure santé, et un meilleur retour au travail.

Les propositions de l’Unaf

  1. Créer un congé parental, accessible à tous, mieux indemnisé (75 % du revenu) jusqu’au 1 an de l’enfant.
  2. Améliorer l’information des mères et des pères sur leurs droits, dès la grossesse.
  3. Développer les ressources disponibles pour les parents en difficulté après l’accouchement et l’accompagnement à la parentalité dès les premiers mois de l’enfant, notamment en PMI.
  4. Prévoir des solutions de reprise du travail en douceur.
  5. Garantir une place d’accueil, notamment à l’issue du congé parental.
  6. Quel que soit le mode de garde, réduire les restes à charge les plus élevés.
  7. Permettre un congé parental indemnisé jusqu’aux
    3 ans de l’enfant à temps partiel ou complet,
    notamment pour les parents dont les enfants requièrent une présence parentale renforcée (prématurité,
    naissances multiples, pathologies, handicap, adoption).
  8. Instituer un droit de demande d’aménagement horaire, de temps partiel ou de travail à distance, au moins jusqu’aux 8 ans de l’enfant, avec obligation de motiver le refus. l

Les prochaines opportunités pour améliorer le congé parental


L’allongement du congé paternité en juillet 2021 a été un premier pas positif, mais il faut aller plus loin. Le gouvernement l’avait d’ailleurs reconnu en annonçant qu’il « serait une première étape d’une réforme ambitieuse du congé parental ».
Pour mener cette réforme, les pouvoirs publics disposent de tous les rapports nécessaires, auxquels l’Unaf a d’ailleurs apporté ses contributions : rapport sur les 1 000 premiers jours de septembre 2020, rapport parlementaire sur la politique familiale de juillet 2020, rapport du HCFEA de 2019, rapport de l’IGAS de 2018.

86 % des parents

considèrent qu’ils sont eux-mêmes le meilleur mode de garde pour
leur nouveau-né de moins de 6 mois.

Tous préconisent de pouvoir proposer aux parents un congé parental rénové, mieux indemnisé, suivi d’un large accès aux solutions de garde.
De plus, la France doit se mettre en conformité avec la directive européenne « Équilibre entre vie professionnelle et vie privée des parents et aidants », qui impose au moins six semaines de congé parental bien indemnisé, en plus des congés maternité et paternité.
Comme l’a souligné C. Heydemann, ancienne DG de Schneider Electric, qui a depuis pris la direction d’Orange : « Mieux concilier responsabilités familiales et carrières professionnelles compte désormais parmi les dimensions importantes de la qualité de vie au travail. Et, partant, de la qualité du travail et de la performance des organisations. Les employeurs, privés et publics, ont intérêt à réinvestir le sujet familial. Il ne saurait se réduire, pour les entreprises, à une unique préoccupation de coût du travail ».

L’application de la directive européenne Work life balance et la renégociation de la Convention d’objectifs et de gestion de la branche famille pour les 5 ans à venir, sont autant d’opportunités pour faire avancer la France en matière de conciliation.

Auprès des pouvoirs publics et du monde du travail, l’Unaf continuera à agir pour que des mesures soient mises en œuvre afin de permettre aux parents d’avoir le temps de s’occuper de leur enfant sans sacrifier leurs revenus, leurs emplois, leurs carrières, sans sacrifier leurs projets familiaux, pour leur bien-être et celui de leur enfant .