« Le congé parental est au premier rang des aspirations des parents »

Julien Damon, coauteur du rapport sur la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle, propose des pistes d’amélioration des dispositifs existants.

Réalités Familiales n° 136/137
Julien Damon

Réalités Familiales n° 136/137

Julien Damon, Conseiller scientifique, de l’EN3S

Le Président de la République a décrit l’accueil de la petite enfance comme un système « à bout de souffle ». Quelles sont pour vous les principales insuffisances de notre modèle de conciliation vie familiale — vie professionnelle ?

Je n’aurais pas dit « à bout de souffle ». Il faut rappeler que des efforts très conséquents ont été consentis depuis une trentaine d’années, permettant incontestablement de fortement progresser. Le système marque cependant le pas et pour bien des parents le sujet de l’accueil de leurs très jeunes enfants reste préoccupant, et encore parfois un parcours du combattant. Avec la puissante progression de l’activité féminine et d’une aspiration à une plus grande égalité entre pères et mères, il y a toujours des progrès à faire. Plus concrètement, la politique de petite enfance souffre d’une gouvernance trop dispersée. Aucune collectivité n’en est véritablement responsable. Autre défaut, l’offre est aujourd’hui trop inégalitaire. Une partie des parents — du côté des indépendants, du côté des actifs à horaires décalés — ont difficilement accès aux services.

L’une des préconisations principales concerne une réforme du congé parental. Pourquoi et comment le rendre plus attractif ?

Le congé parental se situe au premier rang des aspirations des parents, dans les six premiers mois de leur enfant. Une attractivité accrue passe par une indemnisation améliorée, proportionnelle à la rémunération du parent qui le prend. Elle passe aussi par des aménagements des organisations des entreprises et des comportements dans les entreprises. Il ne faut plus que le congé parental soit vu comme un « truc » réservé à certains, et plus particulièrement à certaines. L’essor du congé parental passe par des comportements exemplaires du côté des dirigeants, dans le secteur public comme dans le secteur privé. Plus largement, une réforme pourrait concerner l’ensemble des congés familiaux (maternité, paternité, parental, pour enfant malade, de présence parentale, pour les aidants, etc.). À force de se diversifier, cet ensemble de congés au titre des responsabilités familiales finit par constituer un maquis dans lequel même les experts se perdent. Un peu de simplification, par unification, ne ferait pas de mal. Le chantier est certes compliqué, mais il importe.

En matière d’accueil de la petite enfance, quels sont les leviers principaux pour redynamiser l’offre de service ?

Sans vouloir faire une liste au père Noël, voici trois pistes. D’abord, je pense qu’il faut attribuer une compétence obligatoire aux communes et à leurs intercommunalités afin qu’elles soient — avec les moyens qui leur seraient transférés — responsables de la mise en œuvre d’un droit des parents à disposer d’un accueil pour leurs enfants. C’est une réforme de grande ampleur. Ensuite, il faut une revalorisation des métiers de la petite enfance, en termes de rémunération, mais aussi de considération. Enfin, il faudrait en finir avec les débats idéologiques à la Française entre secteur public, secteur privé non lucratif et secteur commercial. Tous concourent, avec leurs spécificités, à la réalisation d’un objectif partagé : un accueil de qualité pour chaque enfant. 

En mars 2021, Elisabeth Borne, ministre du Travail, Olivier Véran, ministre des Solidarités et de la Santé, Amélie de Montchalin, ministre de la Transformation et de la Fonction publique et Adrien Taquet, secrétaire d’État chargé de l’Enfance et des Familles chargeaient d’une mission sur la conciliation des temps professionnel et familial des parents Christel Heydemann, alors Présidente de Schneider Electric France, et Julien Damon, Conseiller scientifique de l’EN3S.
Après des mois de travail étayés par de nombreuses enquêtes auxquelles l’Unaf a participé, le rapport Damon-Heydemann pour « renforcer le modèle français de conciliation entre vie des enfants, vie des parents et vie des entreprises » a été remis aux ministres lors de la Conférence des familles. Il comprend un état des lieux en matière de conciliation des temps dans le milieu professionnel, formule des propositions pour mieux prendre en compte la question de la parentalité en entreprise ; formule des propositions d’évolution du congé parental, aujourd’hui peu utilisé et mal perçu par les entreprises, et identifie l’impact de ces évolutions sur la politique des modes d’accueil de la petite enfance. 

Synthèse du rapport


Mieux concilier responsabilités familiales et carrières professionnelles compte désormais parmi les dimensions importantes de la qualité de vie au travail. Et, partant, de la qualité du travail et de la performance des organisations. Les employeurs, privés et publics, ont intérêt à réinvestir le sujet familial. Il ne saurait se réduire, pour les entreprises, à une unique préoccupation de coût du travail.

Les politiques françaises de conciliation ont leurs vertus et leurs limites


Avec une offre consistante, elles participent à la relative bonne tenue de la fécondité ainsi qu’à la satisfaction, en moyenne, des actifs. Des tendances préoccupantes pèsent toutefois. Au-delà de la baisse du nombre de naissances, des insatisfactions et des inégalités demeurent. Le volume des services plafonne. Les dispositifs pâtissent d’une certaine méconnaissance des employeurs et des salariés.


Entrepreneurs, managers ou collaborateurs, tous ont à gagner d’un système optimisé


L’amélioration et l’adaptation du système français, qui n’ont pas à suivre obligatoirement les voies d’autres pays, nécessitent des révisions paramétriques et des chantiers structurels. Au sein des organisations, les transformations, notamment pour davantage d’égalité entre les femmes et les hommes, procèdent du volontarisme, mais aussi de l’exemple, dans un contexte qui renforce les exigences des entreprises.

Les nécessaires adaptations relèvent aussi du renforcement des services pour la petite enfance et d’une révision de leur gouvernance


Les efforts d’organisation et de réforme doivent s’approfondir à trois périodes de la petite enfance (0-1, 1-2, 2-3 ans). L’idée-force consiste d’abord à favoriser, dans les premiers mois, le congé parental. Puis à organiser un droit opposable des parents à des services adaptés. Un droit à l’information personnalisée sur la conciliation peut également se déployer.
Les évolutions du système passent par une révision de l’indemnisation du congé parental, raccourcie et devenant proportionnelle au salaire. Elles passent aussi par une refonte d’ensemble des congés familiaux pour davantage d’intelligibilité et d’accessibilité. La dynamique vise à répondre aux besoins des parents actifs et à satisfaire des attentes légitimes, tant chez les salariés (profiter de temps et de services de qualité) que chez les employeurs (bénéficier d’une lisibilité des politiques menées).

Les pouvoirs publics, de leur côté, doivent associer davantage les entreprises, avec des services dédiés. Les entreprises, pour leur part, doivent s’impliquer en systématisant l’information, en proposant des horaires adaptés. Les partenaires sociaux peuvent se saisir de thèmes de négociation et d’instruments nouveaux au titre de la conciliation.

Des refontes structurelles se justifient.
Un dialogue social se légitime. Des chantiers s’ouvrent,
pour les prochains mois comme pour les prochaines années.

Cinq mots clés résument l’esprit et l’orientation des analyses et propositionsde ce rapport :

  • Simplicité de l’offre de services.
  • Adaptabilité des politiques de conciliation.
  • Prévisibilité des étapes des 1 000 premiers jours de l’enfant.
  • Liberté de choix des parents.
  • Exemplarité des décideurs.