Parents, école primaire et déconfinement

Entre le 11 mai et le 22 juin 2020, après deux mois de confinement, la plupart des parents d’élèves de primaire ont retrouvé progressivement leurs horaires habituels de travail alors même que l’école ne pouvait accueillir leurs enfants, ou alors très partiellement.

n°132 133 familles face à la crise sanitaire
Yvon Sérieyx, Unaf, Réalités familiales

Réalités Familiales n° 132/133

par Yvon Sérieyx, Chargé de mission économie/emploi, Unaf

Dans un contexte de crainte tant pour la santé de leur famille que pour leur emploi ou pour l’équilibre financier de leur foyer, comment les parents ont-ils réagi ? Comment se sont-ils organisés ? Qui a gardé les enfants aux heures de classe ? Quelles ont été les conséquences ? Comment l’emploi du temps s’est-il déformé ? Les parents ont-ils négocié leur organisation (entre eux pour les couples, avec leur employeur pour les salariés…) ? L’étude « Parents, école primaire et déconfinement : les inégalités à l’épreuve d’un cas de force majeure », menée par l’Unaf pour le Ministère chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes, auprès de 895 parents ayant au moins un enfant en maternelle ou élémentaire, tente de répondre à ces questions.
La grille de lecture des résultats distingue :
• Les circonstances dans lesquelles ces inégalités de situation femme/homme (professionnelles, domestiques) se sont trouvées renforcées (effet « genre »).
• Les circonstances où ces mêmes différences ont été remises en question par le caractère massif et soudain de ce « choc temporel » (effet « force majeure »).

Le déconfinement : un choc temporel inédit

Alors que 90 % des parents interrogés étaient en emploi avant le confinement, seuls 16 % déclarent que leur enfant est retourné à plein temps à l’école durant le déconfinement, 37 % déclarant un retour uniquement partiel à l’école, et une grande majorité relative (47 %) déclarant avoir gardé leurs enfants chez eux pendant toute la période. Sachant que l’école primaire accueille d’ordinaire les enfants 24 heures par semaine, 84 % de mères et de pères dont les enfants ne sont pas rentrés à plein temps ont dû « caser », chaque semaine pendant un mois et demi, jusqu’à l’équivalent de 3 journées supplémentaires de travail de 8 heures.

Des enfants principalement chez eux, des arbitrages genrés… ou non

Ce choc était d’autant plus complexe à absorber que près de la moitié (47 %) des parents concernés par cette absence d’école à temps plein ne souhaitaient pas le retour à l’école, presque exclusivement pour des
raisons liées à la santé. Le déconfinement a vraisemblablement causé des dilemmes entre privilégier la santé ou l’éducation, les deux préoccupations parentales les plus intenses.

Les parents avaient sans doute une certaine marge de manœuvre face à cette situation et des inégalités sociales s’y sont manifestées. Les enfants des parents des catégories socioprofessionnelles les plus élevées ont plus souvent fréquenté l’école, à temps complet (17 %) mais surtout à temps partiel (40 %).

Les résultats sont clairement genrés :
• Les mères travaillant sur site – et donc ne pouvant se rendre facilement disponibles pour leurs enfants – semblent avoir plus souvent que les autres bénéficié d’un retour partiel à l’école de leurs enfants, et ont plus souvent souhaité un retour complet à l’école.
• Mais les pères ayant travaillé à domicile – et qui donc pouvaient précisément se rendre plus facilement disponibles – signalent plus souvent un retour partiel à l’école, ou souhaitaient plus souvent leur retour complet.
• Lorsque les parents souhaitaient le retour à l’école à plein temps, les pères apparaissaient plus sensibles aux motifs financiers et professionnels et les mères plus sensibles aux motifs de bien-être et éducatifs.
Des mères qui réagissent en fonction de leur capacité ou non à être disponibles pour leurs enfants, des pères qui au contraire privilégient le temps professionnel : les arbitrages ont été indiscutablement genrés selon des clivages traditionnels. Cela se retrouvera à plusieurs reprises dans l’étude. Cependant, l’ampleur du choc est telle qu’il a des conséquences tant pour les pères que pour les mères.

Les différences genrées existent, mais n’empêchent pas les pères d’être massivement impactés. En particulier, certains indices suggèrent que travailler sur site, loin de « protéger » les pères de leurs responsabilités, a fait que le surcroît de temps parental aurait davantage complexifié leur vie professionnelle que s’ils avaient travaillé chez eux. Ces effets de « force majeure » se retrouvent aussi dans la suite de l’étude.

Garde des enfants : d’abord les mères, mais aussi beaucoup les pères

Interrogés sur qui a « principalement » gardé les enfants aux heures où ils auraient dû être en classe, les mères sont 68 % à se désigner elles-mêmes, nettement davantage que les pères (53 %). En moyenne, aucun autre mode de garde n’a été utilisé à titre principal par plus de 10 % des répondants. Malgré le danger sanitaire, ce sont les grands-parents qui ont été les tiers les plus sollicités, mais beaucoup plus lorsque le parent travaillait sur site (16 %), que lorsque ce n’était pas le cas (5 %). Les modes de garde payants ont été particulièrement peu utilisés : juste 5 % à titre principal.
Lorsqu’ils n’étaient pas en couple, les parents n’ont pas davantage gardé leur enfant, ni fait appel à des modes de garde payants : c’est surtout l’autre parent séparé qui a été mobilisé.
Les mères ont davantage gardé les enfants lorsqu’elles étaient déjà dans un schéma de spécialisation des tâches au sein du couple : femmes en couple mono-actif, ou « disponibles » car travaillant à domicile, ou dont l’emploi était moins stable que celui du partenaire. Il semble aussi que les pères en emploi aient plus souvent que les mères fait appel à des tiers pour la garde des enfants.

Mais deux forces sont venues contrarier ce schéma.

Le non-retour à l’école : des conséquences négatives pour deux parents sur trois

Les deux tiers des parents signalent au moins une conséquence négative du non-retour de leurs enfants à l’école, la plus citée étant des difficultés de conciliation vie familiale/vie professionnelle (38 % des répondants). Les parents de famille monoparentale en emploi sont nettement plus nombreux (26 %) que les parents en couple (15 %) à faire état de telles conséquences.

Par ailleurs, les mères en emploi ayant plusieurs enfants scolarisés en primaire ont signalé beaucoup plus souvent des difficultés de conciliation (46 %) que si elles n’avaient qu’un seul enfant en primaire (32 %), alors que ce critère est sans effet significatif pour les hommes.
L’analyse des conséquences négatives révèle aussi des réactions genrées : les mères évoquent davantage la conciliation vie familiale/vie professionnelle, les pères insistent sur les conséquences professionnelles ou financières.

En revanche, aucune situation n’a mis à l’abri une majorité de pères : quelle que soit la catégorie d’analyse, plus de la moitié des répondants, mères ou pères, signale toujours au moins une conséquence négative.

D’autres facteurs que le genre ou la CSP des répondants ont joué massivement : en particulier, les parents qui ont travaillé à domicile sont nettement moins nombreux que les autres à ne signaler aucune conséquence du manque d’école (14 points de moins pour les pères, 11 points pour les mères). La moitié d’entre eux – pères comme mères – signalent une dégradation de leur conciliation vie familiale/professionnelle, soit deux fois plus que les autres. Ils sont aussi deux fois plus nombreux que les autres parents en emploi à signaler une détérioration de leur vie professionnelle (22 % contre 12 %), effet perceptible chez les hommes comme chez les femmes.
A noter, dans la situation la plus égalitaire, lorsque les parents gagnaient autant l’un que l’autre, ils ont davantage (8 à 9 points de plus) ressenti une dégradation de leur vie professionnelle, la différence n’étant pas plus significative chez les femmes que chez les hommes, comme si l’égalité de revenus lissait les conséquences professionnelles.

Une organisation discutée en couple

Au sein des parents en couple dont les enfants n’étaient pas revenus à l’école à plein temps, le déconfinement a plus de 8 fois sur 10 donné lieu à une discussion entre partenaires sur l’organisation familiale, avec un accord 6 fois sur 10, de rares conflits (4 %) et des désaccords.
L’effet monoactivité et inégalités de ressources est net : l’organisation a été moins discutée (et avec moins de désaccords) au sein des couples monoactifs, ou lorsque l’homme gagne plus que la femme.

On note que les pères rapportent davantage de frictions lorsque le calcul pragmatique contrariait le plus les répartitions traditionnelles des tâches : hommes dont l’emploi est moins stable que leur partenaire, ou gagnant moins qu’elle, ou pères ayant travaillé à distance (accroissant la probabilité d’un couple où le père devait rester à la maison tandis que la mère était sur site).

Les mères ont davantage dû s’adapter que les pères

Plus de 55 % des mères en couple mais seulement 43 % des pères jugent que l’adaptation au manque d’école a principalement reposé sur eux. Mais plus significativement, trois fois plus de pères que de mères jugent que l’adaptation est venue surtout de leur partenaire (22 % contre 8 %), et cette proportion monte à 32 % pour les hommes de « CSP – ». Au-delà du gros tiers de parents ayant eu la perception d’une adaptation égalitaire, tout indique, comme dans d’autres études issues du confinement, que davantage de mères que de pères ont dû s’ajuster. En revanche l’égalité de la situation professionnelle dans le couple semble égaliser l’impact de la charge d’adaptation.

Les parents salariés déconfinés, face à leur employeur

Après le déconfinement, près des deux tiers des parents salariés, dont les enfants n’étaient pas à plein temps à l’école, ont discuté de l’organisation de leur travail avec leur employeur. La moitié de ces parents sont tombés d’accord avec leur employeur, et les désaccords et conflits ne sont survenus que dans 16 % des cas.

Le tableau est néanmoins genré : comme dans le cas de la négociation entre conjoints, les pères sont plus nombreux à signaler des désaccords, et les mères à n’avoir pas discuté du tout. Les mères en couple gagnant moins que leur conjoint ont été particulièrement peu nombreuses à discuter avec leur employeur (42 % n’ont pas discuté).

Seuls un tiers des parents salariés en famille monoparentale ont trouvé un accord avec leur employeur. Leurs désaccords ou conflits n’ont pas été plus fréquents, mais ces parents rapportent 47 % d’absence de discussion contre 32 % pour les parents en couple. Il est possible qu’il s’agisse là aussi d’une absence de marges de manœuvre de discussion, ou de solutions imposées, ou encore d’emplois donnant déjà des possibilités d’aménagement entre temps professionnel et parental.
Plusieurs circonstances égalisaient les réactions : la part de parents ayant discuté étant parvenus à un accord est particulièrement élevée pour les pères et mères ayant travaillé à distance : 57 % pour les pères, et 62 % pour les mères, l’absence de discussion étant alors rare (autour de 20 %).

Se révèle un fort effet de l’égalité de revenu dans le couple. Lorsque les répondants jugeaient leur revenu identique à ceux de leur conjoint, ils ont nettement plus souvent discuté avec leur employeur, avec davantage d’accords, mais aussi davantage de désaccords et de conflits. Il est probable que cette situation d’homogamie dans un couple biactif créait une double contrainte budgétaire et temporelle dans la famille, qui rendait encore plus nécessaire le contact avec l’employeur, y compris lorsque les circonstances n’étaient pas les plus favorables au dialogue.

Des emplois du temps chamboulés par le temps parental

Un enseignement majeur de cette enquête est la part importante de mères (59 %) et de pères (56 %) qui déclarent avoir accru leur temps de soin aux enfants durant cette période lorsque leurs enfants n’ont pas eu accès à l’école à plein temps.

Ce « choc temporel » a été, à l’échelon global, compensé d’une manière genrée : les mères déclarant avoir réduit leur activité professionnelle sont de 11 points plus nombreuses que celles l’ayant accrue, alors que cette différence est négative (- 3 %) chez les hommes. La différence « réduction/accroissement » atteint 23 points sur le poste « sommeil, repos et loisir », bien davantage que les hommes (9 %).

Chez les parents en couples biactifs estimant que leurs deux emplois sont aussi stables l’un que l’autre, les pères sont 31 % à avoir augmenté leur temps professionnel, contre 17 % seulement pour les mères, ce qui suggère un effet de spécialisation des rôles dans le couple. Autre effet de cette spécialisation, les pères d’un seul enfant en primaire ont plus souvent réduit leur temps parental que ceux qui en avaient plusieurs (13 % contre 4 %).

Les pères semblent avoir aussi voulu préserver leur temps professionnel lorsqu’ils ont travaillé à domicile : 37 % ont alors augmenté leur temps professionnel contre 18 % s’ils n’ont pas eu cette situation de travail. Cela suggère que, chez les pères – mais pas chez les mères – le temps de transport libéré par le recours exceptionnel au télétravail aurait été souvent capturé par le temps professionnel.

Mais au-delà de ces différences, l’effet de l’explosion du temps parental sur les emplois du temps a été massif dans toutes les configurations. Ainsi, l’écart entre femme et homme déclarant avoir augmenté leur temps parental ne devient significatif qu’au sein des couples monoactifs (où la mère, le plus souvent, n’a pas d’emploi)… mais même dans ce cas, les hommes sont encore 45 % à déclarer avoir augmenté leur temps passé à s’occuper de leurs enfants (62 % pour les mères).

Il est notable que les parents en couple « confirment » en grande partie cette explosion du temps parental chez leur partenaire : 45 % des mères en couple considèrent que leur conjoint a augmenté son temps parental (la proportion atteint 51 % pour les mères qui ont travaillé sur site).

Les enseignements à retenir

Les parents ont répondu à la situation sous un mode genré : les mères tendant davantage que les pères à se rendre disponibles pour les enfants, les pères tendant plus que les mères à préserver leur temps professionnel face à cette surcharge parentale.

Mais les parents ont aussi répondu sur un mode pragmatique à cette situation de force majeure. Dans le contexte français – avec une grande majorité de couples biactifs, et où l’apport de revenu de la mère est très souvent indispensable à l’équilibre du budget familial, une majorité de pères se sont révélés, d’une manière ou d’une autre, mobilisables.

Tant que la crise sanitaire se poursuit, des dizaines ou centaines de milliers de parents d’élèves de primaire peuvent être à tout moment confrontés à un renvoi de leur enfant à domicile pour une semaine, tout en devant maintenir leur activité professionnelle. Cela se traduira par des discussions en couple et des discussions de salariés et de salariés avec leur employeur. A court terme, il est,ainsi important que la communication tant des employeurs que des pouvoirs publics veille à s’adresser autant aux pères qu’aux mères.

Le fait qu’une part importante des pères se soit mobilisée n’implique pas que cette mobilisation soit acquise ou pérenne, mais cela signifie qu’elle est possible. A moyen et long terme, les pères doivent donc être considérés comme un public déjà sensibilisé à tout message ou tout dispositif leur permettant de concilier responsabilités parentales et professionnelles, que ce soit sous la pression des évènements ou par l’évolution du monde du travail et des aspirations sociétales.