Enquête thématique

La séparation des couples – Causes et processus

L’Unaf a soutenu une recherche inédite sur les causes des séparations menée par Emmanuelle Santelli, directrice de recherche au CNRS. Retrouvez ici, les principaux enseignements identifiés par l’Unaf.


La séparation des couples
Causes et processus

Etude d’Emmanuelle Santelli,
DR CNRS, Centre Max Weber

Résumé et analyse de l’Unaf
Synthèse du rapport

Dans le cadre d’un partenariat noué avec le centre Max Weber de Lyon, l’Unaf a soutenu financièrement la recherche inédite menée par Emmanuelle Santelli sur « La séparation des couples : causes et processus ».
Si des échanges constants entre la chercheuse et l’Unaf au cours de l’enquête ont permis de faire progresser la réflexion, le travail et les conclusions restent totalement ceux de Mme Santelli.
Du rapport très complet tiré de l’enquête, l’Unaf a retenu quelques points saillants qui constituent sa lecture des apports de cette recherche.

S’interroger sur l’origine des séparations : une démarche quasi-inédite

Très peu de recherches ont été menées sur le thème de l’origine des séparations. Comme le constate E. Santelli elle-même : par pudeur, par crainte d’être accusés de vouloir « éviter les séparations », les chercheurs et les administrations ont très majoritairement plutôt travaillé sur les conséquences plutôt que sur les causes des séparations. Pourtant, pour l’Unaf, alors qu’on s’interroge de plus en plus sur les conséquences de la monoparentalité sur la situation des femmes, il était indispensable de travailler ce sujet et d’inciter d’autres chercheurs à le faire.

Une méthode originale et pertinente : consulter des ex-couples

La méthode retenue est aussi innovante. Si l’enquête statistique EPIC (Ined, INSEE) a été utilisée, le corpus principal de l’enquête a consisté en entretiens réalisés auprès de professionnels de l’accompagnement des séparations, mais surtout de couples séparés en prenant bien soin d’interroger les deux membres de l’ex-couple. Cette méthode est complexe à mettre en place mais elle est indispensable pour véritablement mesurer les incompréhensions, les accords ou désaccords des deux conjoints sur ce qui a pu conduire au processus de séparation. Elle permet la nuance et une analyse fine et crédible du processus. Dans l’étude des séparations, l’Unaf recommande l’utilisation de cette méthode par la recherche publique, tant qualitative que quantitative, qui pourrait par exemple utiliser l’échantillon démographique permanent (EDP) comme vivier de tirage.

Un enfermement dans des rôles sexués…

Au-delà du constat statistique bien connu de l’inégalité dans la répartition des tâches domestiques, cette recherche apporte une vision bien plus subtile des risques portés par une répartition des rôles pas toujours suffisamment discutée et réfléchie au sein des couples.
Ainsi, l’enquête montre que malgré des aspirations égalitaires, les femmes continuent à assumer une charge disproportionnée des tâches domestiques et des responsabilités parentales, ce qui exacerbe leur fatigue et leur mécontentement conjugal. Les femmes interrogées expriment souvent une charge mentale importante et un manque de réciprocité dans la relation, notamment en termes de reconnaissance de leur contribution domestique ou de soutien émotionnel.
Les hommes, quant à eux, se retrouvent bien souvent enfermés dans un rôle de « pourvoyeur financier ». Leur sur-implication professionnelle – qui en est la conséquence- est perçue comme un manque d’investissement émotionnel et familial, ce qui créé une fracture dans les attentes réciproques.

Dans les situations étudiées, les responsabilités parentales modifient fortement l’équilibre familial avec l’arrivée du premier ou du deuxième enfant. Les attentes souvent divergentes autour de l’implication parentale de chacun sont une source majeure de tensions qui, cumulées à d’autres facteurs, renforcent des ressentiments mutuels, et finissent par précipiter les décisions de séparation, comme le remarque E. Santelli.

…aggravé par des facteurs socio-économiques : l’argent contre le temps

Le poids des normes de consommation, et sans doute de parentalité, pousse les couples à des attentes importantes concernant le bien-être matériel, le « confort de la famille », ce qui les oblige à un investissement professionnel souvent conséquent, les revenus d’un couple avec enfant dépendant énormément des quotités de travail rémunéré au sein du couple. Outre que le partage de cette charge professionnelle est souvent déséquilibré, elle compromet pour les deux conjoints le temps nécessaire pour s’occuper des enfants mais aussi pour entretenir la relation conjugale.
Or, l’enquête montre à quel point ce temps est indispensable.
De façon plus globale, la biactivité est devenue la norme majoritaire dans les couples avec enfant, ce que reflète l’échantillon de l’enquête. Mais il semble que les couples interrogés n’en ont pas tiré toutes les conséquences : s’ils expriment a posteriori des attentes sur le partage des tâches domestiques, ils évoquent peu les modalités de partage de la fonction de pourvoyeur de revenus.
Faisons-nous face à une mutation inachevée des normes sur ce plan ?

Une action possible pour les pouvoirs publics, les associations, le monde professionnel

Pour l’Unaf, l’ensemble de la recherche montre que les séparations ne relèvent pas seulement de l’ordre de l’intime mais ont des déterminants sociaux plus généraux, certes complexes et divers, mais sur lesquels les politiques publiques, les partenaires sociaux ou le travail social peuvent agir, tout simplement pour faciliter la vie des familles.
Alors que la plupart des couples se constituent en référence au modèle de l’amour romantique (un couple amoureux et durable), ils négligent d’aborder certaines questions, tant sur le plan matériel (le partage des temps de travail rémunéré et domestique – non rémunéré, le partage de l’apport de revenu…) que relationnel, qui sont pourtant cruciales pour préserver le couple. La « conversation conjugale » est une manière pour y parvenir et elle devrait être appuyée par des professionnels comme les conseilleurs conjugaux, les médiateurs familiaux… Cet accompagnement des couples doit être démocratisé, facilité, mieux connu et valorisé.
Nos politiques publiques et le monde professionnel doivent aussi appuyer l’évolution de nos modèles conjugaux vers davantage d’égalité en accordant des droits sociaux qui reconnaissent l’importance de l’engagement familial des deux conjoints, tant pères que mères. Un congé de naissance mieux indemnisé, et par conséquent plus égalitaire, est ainsi une revendication majeure de l’Unaf, afin que chacun puisse se sentir concerné. Plus globalement la conciliation vie familiale – vie professionnelle des couples de parents doit devenir un sujet important dans la négociation sociale, menée par les partenaires sociaux, et concernant autant les mères que les pères, ce qu’il n’est pas encore aujourd’hui. Cette conciliation entre responsabilités familiales et vie professionnelle est décidément bien un objet majeur de la politique familiale, qui doit être davantage investi par toutes les parties prenantes.

Résumé du rapport

La séparation des couples. Causes et processus

Comprendre le processus conjugal qui conduit à la séparation était l’objectif de la recherche financée par l’Unaf en 2021-22. Elle a été réalisée par entretien biographique auprès d’une vingtaine de couples dont au moins un enfant de moins de 18 ans devait résider au domicile au moment de la séparation. En raison de ce critère, les individus interviewés étaient essentiellement des quarantenaires – moyenne d’âge 44 ans. L’enfant aîné avait un âge moyen de 12,5 ans, et la durée moyenne de la relation était de 13 ans, elle correspondait le plus souvent au premier couple stable.
Malgré les nombreuses tentatives pour diversifier le corpus, les couples appartenant aux classes moyennes-supérieures sont sur-représentés, et ils sont quasiment tous bi-actifs. L’originalité de la démarche est double, d’une part, parce qu’elle s’intéresse aux causes de la séparation – et non aux conséquences comme cela est habituellement le cas. Elle considère la séparation comme le résultat d’un processus qui nécessite de considérer l’ensemble du parcours conjugal pour comprendre la décision de se séparer. D’autre part, parce que les deux membres de l’ex-couple devaient accepter de participer à l’enquête, lors d’un entretien conduit séparément. Cela a été, sans conteste, le critère le plus difficile à remplir et cela explique le recours au service d’un prestataire pour constituer la majeure partie du corpus enquêté. Toutefois, le choix de conduire des entretiens auprès des deux ex-conjoints s’est avéré pertinent et ce pour au moins trois raisons : disposer d’un nombre équivalent de récits d’hommes et de femmes, dans un domaine de la vie privée où la parole des premiers est plus rare ; retracer la manière dont les unes et les autres témoignent de cette étape et manifestement les femmes et les hommes ont des vécus différents de leur vie conjugale ; approfondir la compréhension de ce qui s’est passé entre les conjoints, le second entretien offrant la possibilité de « creuser » certains aspects. In fine, les connaissances produites concernent la séparation de couples de parents ayant des enfants relativement jeunes, dans lesquels les charges familiales et domestiques pèsent lourd dans le quotidien, et ce dans un contexte de double activité professionnelle.
L’une des hypothèses était que les couples peuvent être malmenés par les conditions de vie liées au rythme imposé par les situations professionnelles, les déplacements domicile-travail, la peur de perdre son emploi, la nécessité de disposer de revenus monétaires en hausse, etc. Les résultats de la recherche ont mis en évidence qu’à cela s’ajoutent des normes de confort matériel (avoir un logement à soi, disposer d’une belle maison, pouvoir gâter ses enfants, s’offrir des loisirs…) et de « bonne parentalité » qui imposent des exigences en hausse et accentuent le caractère « hypertendu » des vies contemporaines. L’agrandissement de la famille génère aussi un travail domestique et parental en hausse, qui conduit à un surinvestissement des femmes dans la sphère domestique et des hommes dans la sphère professionnelle. De nombreuses études ont déjà fait référence à cette répartition sexuée, moins à ses effets dans le processus de séparation conjugale. Or l’organisation qui se met progressivement en place va constituer un élément déclencheur car, dans un monde où l’idéal égalitaire devient une des normes structurantes de la vie conjugale, se dévouer pleinement à la vie familiale, avoir le sentiment de ne pas pouvoir se réaliser soi, n’est plus considéré comme « normal » par les femmes.
Outre la nette diminution du temps consacré au couple, le rythme de la vie familiale inscrit chacun dans des rôles, les femmes en prenant largement en charge la réalisation du travail domestique et parental, les hommes en procurant des revenus complémentaires par un plus fort engagement dans la sphère professionnelle. Cette répartition est à la fois une façon de gérer les contraintes qui pèsent sur la vie familiale et l’expression du fait que la famille continue d’être régie selon la logique de « complémentarité hiérarchique des sexes » (Dumont, 1979).
A rebours du modèle du « divorce désamour » (Théry, 1993), expliquant le divorce par la fragilité intrinsèque de l’amour, la non-possibilité de continuer de vivre à deux est un indicateur de la manière dont les individus se représentent ce que devrait être le couple et de la place de chacun dans ce dernier. Alors que les hommes consacrent aux activités domestiques et parentales plus de temps que les générations antérieures, le décalage avec les attentes des femmes demeure fort car ces dernières ne cessent de croître dans un monde où le projet politique d’égalité entre les sexes est central – mais loin d’être atteint. L’une des conséquences de ne pas partager équitablement les tâches domestiques et parentales a pour effet que les couples ne disposent pas du temps nécessaire pour continuer d’avoir des projets communs, ce qui contribue à éloigner les deux conjoints. En effet, les difficultés des couples rencontrés semblent moins résulter d’un éloignement en raison d’envies, de valeurs, de projets qui divergeraient au fil du temps que d’une absence de disponibilité pour continuer de les partager et pour formuler des projets pour soi.
Alors qu’au fil des naissances les couples deviennent un espace de gestion de la vie quotidienne, ils continuent d’aspirer à vivre une relation amoureuse épanouie tout en se réalisant individuellement. La question de la séparation pose en somme celle des fonctions du couple et de leur conciliation : Le couple-sécurité procure une sécurité émotionnelle, affective et matérielle. Cette fonction offre un sentiment protection, il est possible de compter sur le conjoint : ensemble, le couple permet de faire face aux épreuves de la vie. Auparavant, les rôles étaient clairement distincts : il incombait aux hommes de procurer la sécurité financière, tandis que les femmes avaient en charge l’univers domestique. De nos jours, outre le confort matériel supplémentaire apporté généralement par les revenus supérieurs de l’homme, il est attendu de ce dernier qu’il soit présent dans l’univers domestique et de pouvoir compter sur lui.
Le couple-séduction permet de ressentir de l’attention, de se sentir considéré.e et valorisé.e. Cette fonction permet de rompre avec la routine du quotidien, elle place le couple au centre (même très temporairement), chaque membre du couple est alors conforté dans son désir narcissique d’avoir été choisi.e. Elle emprunte au modèle romantique et contient des attentes parfois difficilement compatibles avec le rythme et les contraintes de la vie familiale.
Le couple-soi désigne la possibilité de se réaliser soi tout en vivant à deux. Cette fonction vise à mettre en oeuvre un fonctionnement équilibré entre les trois pôles : la relation conjugale, la vie familiale et l’individualité de chacun.e. Cette conception du couple est récente, elle prend racine dans le projet politique d’égalité, qui implique deux individus égaux, dont la voix de chacun.e compte pour trouver un équilibre conjugal, et qui sont en mesure d’échanger sur leur rôle respectif.
Dans la réalité de la vie conjugale, les femmes sont plus nombreuses que les hommes à remettre en cause la pérennité de la relation conjugale quand elles font le constat que la relation conjugale ne répond plus à leurs attentes. L’analyse met au jour un point de rupture quand les femmes font le constat qu’elles ne peuvent plus compter sur leur conjoint ou quand elles refusent de se sentir délaissées. Alors que le couple ne procurait déjà plus guère de satisfactions émotionnelles, affectives et sexuelles, il peut arriver un moment où il ne répond plus à l’attente minimale de protection. Le couple peut aussi leur donner l’impression qu’elles sont devenues une mère, une épouse, voire une colocataire, mais plus « exister en tant que femme ».
Quels sont les leviers d’action ? Au niveau macro, l’Etat doit continuer de promouvoir des lois favorables à l’égalité des sexes et, plus largement, l’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle afin de favoriser des relations égalitaires dénuées de sexisme et de préjugés. Au niveau micro, la « conversation conjugale », synonyme de la capacité à exprimer ses attentes à l’égard de la relation, permettrait de parvenir à de nouveaux arrangements – voire, en l’absence d’accord, à une séparation mais qui pourrait se dérouler dans de meilleures conditions grâce au dialogue instauré.
Cette conversation « bouscule » nos représentations du modèle de l’amour romantique dans lequel la relation amoureuse semble considérée comme « naturellement » durable ; la qualité de la relation à ses débuts serait le signe qu’elle se poursuivrait ainsi, au fil du temps, sans avoir besoin d’y apporter une attention particulière, ni d’en rediscuter les modalités. Pourtant, la vie à deux ne va pas de soi, notamment parce que les parcours de chacun évoluent : les enfants naissent, grandissent, les emplois changent, les aspirations évoluent, etc.
A travers les causes de la décision de la séparation, cette recherche a permis d’engager une réflexion sur ce que la relation conjugale révèle des relations femmes-hommes dans notre société. D’autres causes (des facteurs psychologiques, des attentes personnelles) pourraient aussi expliquer les séparations, elles viendraient enrichir ce que la démarche sociologique permet quant à elle de mettre en évidence : « la fin du couple » est moins le résultat d’une société individualiste que le fait d’une société qui demeure inégalitaire.