Soutenir la réflexion éthique dans les services de PJM, un enjeu majeur

La réflexion éthique dans les services de protection juridique des majeurs (PJM) n’est pas nouvelle. Toutefois, elle prend, depuis plusieurs années, une place de plus en plus importante en raison du développement d’outils et d’espaces de réflexion.

Réalités Familiales n° 138/139
Georges Isabelle, Udaf 41

Réalités Familiales n° 138/139

Georges Isabelle, Adjoint à la Direction en charge de la qualité de l’Udaf de Loir-et-Cher

Cette prise de conscience est apparue lors de la professionnalisation du métier de MJPM1. Elle s’est accentuée par l’évolution de la législation internationale consacrant « la reconnaissance de la personnalité juridique dans des conditions d’égalité » aux personnes handicapées2.

L’évolution de la place de la personne protégée : une capacité juridique aujourd’hui reconnue


Les services PJM se sont adaptés aux évolutions intervenues dans le domaine de la protection juridique des majeurs. Concrètement, nous sommes passés d’une période de notre histoire où les personnes accompagnées étaient considérées comme des « incapables majeurs » à un véritable soutien de leur capacité résiduelle, dans la mesure où l’accompagnement proposé aujourd’hui par nos services est regardé comme une aide à la prise de décision.

Dans le cadre de cette évolution, la loi du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs, consacre un équilibre entre deux conceptions de la protection. La première promeut l’autonomie du sujet, à savoir sa capacité d’autodétermination. La seconde met en exergue la dignité de la personne, son intérêt, limitant en partie son autonomie. Cette loi opère une subtile synthèse de ces deux conceptions à l’art. 415 du Code civil en disposant que « la protection est instaurée et assurée dans le respect des libertés individuelles, des droits fondamentaux et de la dignité de la personne. Elle a pour finalité l’intérêt de la personne protégée. Elle favorise, dans la mesure du possible, l’autonomie de celle-ci ».

Le clou a véritablement été enfoncé lorsque la France a ratifié en 2010 la CIDPH3 et s’est engagée à mettre en conformité sa législation au regard de ce texte. En application de l’article 12 de cette convention internationale, notre pays est tenu de prendre les mesures appropriées pour donner aux personnes handicapées l’accès à l’accompagnement indispensable à l’exercice de leur capacité juridique. Le rapport du Défenseur des Droits de septembre 2016, s’appuyant sur les travaux du Comité des Droits des Personnes handicapées des Nations Unies, invite la France à mettre un terme aux dénis de la capacité juridique fondés sur le handicap4.

Pour tendre vers ce changement, plusieurs textes5 ont renforcé les droits fondamentaux des majeurs protégés en limitant ou supprimant l’intervention du Juge des tutelles et/ou du protecteur dans de nombreux domaines tels que le domaine médical, le mariage, le PACS, le divorce, le droit de vote…

Déconstruire les représentations pour faciliter l’accès des personnes protégées aux dispositifs de droit commun


Il était indispensable de poser le cadre des évolutions juridiques afin d’en mesurer les conséquences pour les personnes protégées et les professionnels qui les accompagnent. La reconnaissance de cette capacité vient questionner nos pratiques en termes de restriction de participation sociale et non en termes de déficience de l’individu. Toutefois, cette évolution se trouve contenue. En effet, l’effectivité des droits n’est pas aisée, tant les obstacles qui jalonnent le chemin qui nous conduit à leur reconnaissance sont nombreux.

Le respect de la capacité juridique de la personne protégée s’apprécie au regard du niveau d’inclusion sociale que la communauté, prise dans son ensemble, a décidé d’offrir à ses citoyens. Or, force est de constater que les offres de service indispensables à cette inclusion citoyenne, même lorsqu’elles existent, renvoient trop souvent la personne protégée vers son protecteur.

Pour illustrer cette difficulté, il arrive aux personnes protégées de se voir refuser l’accès aux dispositifs d’accompagnement social de droit commun proposés par les CCAS ou CIAS6. Les personnes protégées sont souvent empêchées dans l’exercice de leurs droits.

Dans la pratique, c’est la protection qui s’en trouve diminuée. Or, de son côté, la loi considère qu’elle est un devoir de la collectivité publique7. La décision prise par le Juge des tutelles au bénéfice d’une personne atteinte d’une altération de ses facultés personnelles devrait avoir pour effet de convoquer et mobiliser, non seulement nos services, mais également la société dans son ensemble. Lorsqu’une mesure est prononcée, « il convient de rappeler que le soutien apporté à la personne dans l’exercice de ses droits doit se faire en lien avec tous les autres intervenants… ».8

Dans le champ de l’inclusion citoyenne, une absence de compensation et de prise en charge suffisante des personnes par des dispositifs de droit commun accentue le sentiment, pour elles, de ne pas être des citoyens à part entière.

Dans un tel contexte et plus que jamais, la réflexion éthique s’impose afin de conduire les professionnels à questionner leurs pratiques dans le respect des droits et libertés fondamentales des personnes qu’ils accompagnent.

Les « Repères pour une réflexion éthique des mandataires judiciaires à la protection des majeurs », un nouvel outil élaboré par l’ensemble des acteurs de la profession.


La DGCS9 a installé le 17 novembre 2017 un groupe de travail pour élaborer cette réflexion nationale sur l’éthique des MJPM. Il était composé des deux ministères (Justice ; Solidarités et Santé), des représentants des principaux acteurs des secteurs concernés : Défenseur des droits, Juges des tutelles (ANJI), DRJSCS10 et DDCS11, représentants des MJPM des trois modes d’exercice (les services PJM, les mandataires indépendants, les préposés d’établissements), établissements de formation et représentants des familles (Unaf).

Ces acteurs, dans une démarche de co-construction, ont élaboré un outil dont on ne mesure pas encore la portée, mais qui pourrait s’avérer être, parmi l’ensemble des travaux réalisés jusqu’à présent, le plus important. Il a pour objectif d’aider et guider l’action des professionnels confrontés, dans leurs pratiques, à des questionnements éthiques.

Le travail de recherche, de réflexion et d’échanges a été conséquent, à la hauteur des enjeux pour la profession et surtout pour les personnes que nous accompagnons. Entre 2017 et 2020, une trentaine de séances de travail ont été nécessaires.

Il a mobilisé également de nombreuses Udaf qui, réunies au sein de l’Unaf, ont enrichi cet outil de leurs expériences de terrain et de leur expertise.

Comment ce nouvel outil peut-il nous aider ?


En proposant une définition commune de l’accompagnement dans le cadre d’une mesure de protection juridique.
Cet outil propose une définition de l’accompagnement qu’offrent nos services aux personnes protégées. Il est indispensable de le définir, car il est spécifique, singulier et doit être distinct des autres formes d’accompagnement tel que l’accompagnement social. Cette définition émane d’un consensus qui s’est dégagé à l’occasion des travaux d’écriture des repères éthiques par l’ensemble des acteurs de la profession. Elle revêt donc une très forte légitimité.

Il définit l’accompagnement autour de 4 axes et rappelle toute la complexité de cet accompagnement qui « vise principalement à :

Notre accompagnement s’inscrit dans un domaine spécifique et vise à compenser une perte d’autonomie décisionnelle en lien avec les actes juridiques pris dans l’exercice des droits et libertés fondamentales. Il correspond à une aide à la prise de décision. Le respect de la volonté de la personne, de ses choix et préférences et de son aptitude à décider est au cœur de notre accompagnement et des évolutions de notre société.
Même si le protecteur peut intervenir dans presque tous les domaines de la vie d’une personne, il ne peut compenser toutes les formes de handicap. Dans la pratique, combien apprécieraient qu’il soit d’une grande polyvalence : chauffeur de taxi pour compenser la perte de mobilité, infirmier pour suivre la prise d’un médicament, aide à domicile pour faire le tri de produits périmés dans un réfrigérateur, éducateur spécialisé pour favoriser l’autonomie en organisant des activités…

Toutefois, le mandat qui nous est confié porte uniquement sur les actes de la vie civile12. Il s’agit d’une mesure de protection juridique. À défaut de respecter les limites et contours du mandat, la protection pourrait paraître indistincte au risque de porter atteinte aux droits et libertés des personnes prises en charge.

Cette définition est fondamentale pour rendre un service de qualité aux personnes protégées et mieux articuler nos actions avec l’ensemble des professionnels qui se doivent d’intervenir, à la demande de la personne protégée et/ou de son protecteur, dans des champs spécifiques indispensables à l’inclusion citoyenne.
En déclinant cet accompagnement autour des quatre principales activités du MPJM.
Partir de cette définition pour ancrer notre réflexion éthique autour des « activités clés » proposées dans cet outil donne du sens à nos interventions. Elles sont à la base des actions du mandataire auprès de la personne protégée. C’est dans ce cadre que naissent les questionnements éthiques.

Elles ont été regroupées en quatre grands thèmes :

Pour chaque activité clé, il a été proposé des postures éthiques, illustrées d’exemples concrets et complétées par de nombreuses notions, concepts et outils qui pourront faire l’objet de réflexions individuelles ou collectives dans le cadre d’espaces d’échange ou d’instances consacrées à ces thématiques.

Les repères éthiques soulèvent de multiples questionnements et mettent en tension les principes et valeurs mobilisées au moment de l’exercice des droits et libertés des personnes protégées. Ils guident les professionnels fréquemment confrontés à des décisions difficiles à prendre ou à des cas de conscience. Sans pour autant apporter de réponse, ils invitent à s’interroger avec méthode. La dernière partie de ce document de travail, intitulée « Méthode de réflexion en matière éthique », propose un ensemble d’outils à destination des professionnels.

Le nouveau référentiel national d’évaluation invite les services à porter une attention particulière à l’éthique


Tout ce qui précède pose les bases d’une démarche d’amélioration de la qualité de la prise en charge des personnes par nos services. En ce domaine, difficile de ne pas faire référence à l’actualité. En effet, la Haute Autorité de Santé (HAS) a publié le 10 mars dernier le premier référentiel national pour évaluer la qualité dans le social et le médico-social.
Parmi les 9 thématiques déclinées en objectifs et critères d’évaluation, la réforme consacre un volet à l’éthique : « la bientraitance et l’éthique ».

Nos services porteront une attention particulière à la réflexion éthique en raison de la nature même de notre activité.
Des actions spécifiques devront être proposées et pilotées dans le cadre d’une démarche d’amélioration continue de la qualité sur la base du nouveau référentiel d’évaluation commun à l’ensemble des ESSMS13.

Le rythme de l’évaluation tous les 5 ans est porteur de sens pour les services PJM et leurs professionnels, car il correspond notamment à celui du projet de service. Des objectifs en matière de réflexion éthique devront nécessairement être inscrits et portés par l’ensemble des professionnels14 dans ce domaine. 

1/ Mandataire Judiciaire à la Protection des Majeurs
2/ Art 12 de la Convention Internationale des Droits des Personnes Handicapées
3/ Convention Internationale des Droits des Personnes Handicapées
4/ Principe rappelé en 2021 – Rapport parallèle du Défenseur des Droits/Examen du rapport initial de la France sur la mise en œuvre de la CIDPH – Comité des droits des personnes handicapées suite à la visite, en France, de la Rapporteuse spéciale sur les droits des personnes handicapées.
5/ La loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, l’ordonnance du 11 mars 2020 relative au régime des décisions prises en matière de santé, de prise en charge ou d’accompagnement social ou médico-social à l’égard des personnes majeures faisant l’objet d’une mesure de protection juridique.
6/ CCAS (Centre Communal d’Action Sociale) – CIAS (Centre Intercommunal d’Action Sociale)
7/ Art 415 alinéa 3 du Code civil
8/ Rapport de mission interministérielle – Anne CARON DÉGLISE – 2018
9/ DGCS (Direction Générale de la Cohésion Sociale)
10/ DRJSCS (Direction Régionale de la Jeunesse des Sports et de la Cohésion Sociale)
11/ DDCS (Direction Départementale de la Cohésion Sociale)