Concilier travail et parentalité : et si on s’adressait enfin aux hommes ?

La bonne articulation entre les sphères de la vie privée et professionnelle est souvent décrite comme un levier clé pour atteindre l’égalité entre les femmes et les hommes. Mais pour être plus exacts, nous devrions plutôt parler de la bonne répartition du temps entre les femmes et les hommes et de leur investissement dans les deux sphères à la fois pour qu’une bonne articulation puisse se faire.

Réalités Familiales n° 136/137
Lydie RECORBET

Réalités Familiales n° 136/137

Par Lydie Recorbet, Chargée de missions RH et RSE Orse (Observatoire de la responsabilité sociétale des entreprises)

On n’a jamais autant aspiré à un meilleur équilibre et à plus d’égalité hommes-femmes 


Réussir à articuler responsabilités familiales, vie privée avec un travail, sans même oser parler de carrière professionnelle, ne signifie pas forcément – et particulièrement pour les femmes – que cette articulation ne s’exerce pas au prix d’efforts acharnés et d’une charge mentale décuplée.
Et pourtant, la société n’a, semble-t-il, jamais autant aspiré à un meilleur équilibre des temps de vie et à davantage d’égalité entre les femmes et les hommes. L’écart n’a jamais été aussi réduit même si, selon les dernières estimations 2021 du Forum économique de Davos, nous atteindrons l’égalité salariale dans 135,6 ans et cela, en tenant compte d’un recul de 36 ans dû à la pandémie !

Pour autant, les générations les plus jeunes — garçons et filles — qui se positionnent en rupture avec un monde « d’avant », n’imaginent pas le monde être inégalitaire plus longtemps. C’est bien dans ce sens, il faut le reconnaitre, que les évolutions législatives vont en France.
Il en est ainsi de la réforme du congé parental d’éducation (CPE) de 2014, certes contestée pour son efficacité, mais adoptée au travers d’une loi qui énonce clairement son intention : la « loi sur l’égalité réelle entre les femmes et les hommes » et qui admet par la même occasion que l’égalité entre les femmes et les hommes reste à ce jour un idéal moral et un objectif à atteindre. Beaucoup plus récemment, c’est l’allongement du congé paternité au 1er juillet 2021 (alors que celui-ci est déjà une avancée qui ne date que de 2003), pour doubler le nombre de jours accordés au second parent qui démontre une volonté de permettre aux hommes de créer des liens d’attachement durables avec leur enfant. Disposer ainsi de 28 jours fractionnables doit permettre une plus grande flexibilité entre leur nouvelle vie de famille et leur vie professionnelle afin, entre autres, d’« inciter à un rééquilibrage des tâches domestiques et surtout parentales et en réduisant les inégalités de carrières professionnelles entre les femmes et les hommes ». C’est bien ainsi que la réforme est officiellement expliquée.
Les bonnes résolutions sont là, mais, comme celles que l’on formule chaque nouvelle année, peuvent-elles s’inscrire dans la durée et conduire le changement culturel dont nos sociétés ont besoin pour atteindre enfin l’égalité réelle entre les femmes et les hommes ?
Il est encore trop tôt pour connaître les premiers chiffres sur l’évolution de la prise de congé par les pères et les effets de cette réforme. Le développement du lien entre le second parent et l’enfant pendant près d’un mois sera-t-il suffisant pour décomplexer les hommes lorsqu’il s’agira de prendre d’autres types de congés pour répondre aux besoins de l’enfant ? Va-t-il inciter, au-delà de la durée du congé, les pères à assumer davantage leur part des responsabilités familiales, s’occuper d’un enfant malade par exemple, sans oublier leur part de participation aux tâches domestiques courantes ?

Culture du présentéisme et de la réussite masculine entravent la parentalité des hommes 


Si l’on se réfère au travail de l’Orse et de Goods to know dans l’une des études les plus récentes se focalisant sur les hommes et leur point de vue sur les dispositifs de conciliation vie privée – vie professionnelle « Les hommes en entreprise : regards croisés hommes-femmes », on peut douter de cette efficacité même si les attentes des hommes dans ce domaine s’expriment de plus en plus fortement et sans tabou.
En effet, d’autres freins sont à l’œuvre notamment dans le monde du travail qui peine à se mettre au diapason. Une forte culture du présentéisme, alliée à une norme de réussite masculine, entrave la parentalité des hommes et le partage des responsabilités familiales au sein du couple, pénalisant ainsi indirectement la carrière des femmes.

Ainsi, l’étude Orse – Goods To Know, publiée en 2019, passe en revue différents congés et aborde aussi les raisons pour lesquels les hommes n’y recourent pas.
Le congé paternité est très bien perçu : 75,1 % des salariés interrogés s’y déclarent favorables, dont 90,3 % chez les 18-30 ans, et 76,1 % d’entre eux estiment que cela n’a pas eu ou n’aura pas d’incidence sur leur carrière.

Il n’en est pas de même en ce qui concerne le congé parental d’éducation. Ils sont 3,3 % des répondants masculins seulement à avoir pris ce congé alors que 13,9 % d’entre eux souhaiteraient en bénéficier, dont 54 % chez les 18-30 ans. Parmi les freins et les appréhensions évoqués par les hommes, 57,6 % d’entre eux pensent que le CPE n’est pas assez indemnisé. Si seulement 34,2 % d’entre eux semblent penser que cette absence pourrait nuire à leur carrière, il est intéressant de noter que 44,6 % des hommes ne ressentent pas le besoin de cette mesure. Le fait qu’un répondant sur deux souhaitant bénéficier du dispositif déclare appréhender l’annoncer à son manager ou bien encore que neuf hommes sur dix évoquent le fait qu’il est plus accepté pour une femme de poser un congé parental peut expliquer ce désintérêt pour le CPE ?
Autre congé révélateur d’une culture du présentéisme encore prégnante en entreprise : le congé enfant malade. Alors que celui-ci est par essence court, avec donc peu d’incidence sur la perte de rémunération, comment expliquer que celui-ci reste massivement utilisé par les femmes ? Dans l’étude conduite par l’Orse et Goods To Know, seulement 32,4 % des hommes déclarent prendre davantage ce congé que leur conjoint et 24,7 % pensent que le prendre peut entraîner des conséquences négatives sur leur carrière. Ces chiffres laissent supposer que les principaux freins sont ici liés aux stéréotypes de genre tels que le soin des enfants qui incomberait plus « naturellement » à la mère, ou bien encore la crainte d’être mal perçu par son entourage professionnel, le congé enfant malade étant aussi un congé de l’urgence, qui ne peut s’anticiper et donc désorganise, sur le moment, l’équipe et le travail.
Qu’à cela ne tienne, pourriez-vous dire : si la crise sanitaire que nous traversons a permis de faire ressortir un tout petit point positif, ce serait bien le recours au télétravail plutôt qu’au congé enfant malade !

Mais depuis deux ans que la pandémie perdure, ils sont de moins en moins nombreux à vanter les mérites du « télétravail de garde » tel que l’expression a pu être formulée parfois, réalisant que rester disponibles à la fois pour ses enfants et pour l’entreprise, ses collègues et ses clients, à des heures dites « normales » de travail, à en décupler la charge mentale des salariés parents, relève d’un véritable défi.
Le télétravail est bel et bien un levier précieux en faveur de la conciliation en ce qu’il permet surtout de gagner du temps sur les trajets domicile – travail et d’aménager plus facilement ses horaires tout en restant dans des plages normales de travail.
Mais rappelons aussi que le télétravail ne résout pas tout, et en tout cas, pas pour tout le monde puisqu’il n’est accessible que pour 40 % des actifs…


Contre les inégalités, l’entreprise doit réviser ses process de ressources humaines


Ainsi, les enjeux de conciliation entre la vie privée et la vie professionnelle font l’objet d’une prise en compte de plus en plus important et indéniable.
Le rapport de la commission des 1000 jours, qui a permis à la réforme du congé paternité de voir le jour, comme celui de la mission Damon-Heydemann pour « renforcer le modèle français de conciliation entre vie des enfants, vie des parents et vie des entreprises » et qui doit permettre de faire évoluer le congé parental, sont des pas supplémentaires vers une plus grande égalité entre les femmes et les hommes.
Ce sont des avancées significatives, car, enfin, elles reposent sur le fait que les hommes doivent pouvoir être impliqués et mobilisés quand on parle de conciliation vie privée – vie professionnelle et qu’ils sont des acteurs à part entière de cette égalité pour laquelle ils seront, eux-aussi, les bénéficiaires d’un meilleur équilibre de vie.
Mais le changement, particulièrement quand il s’agit d’influer sur les représentations des personnes et leurs biais inconscients, prend du temps. L’entreprise gagnerait, dans le cadre de sa responsabilité sociale d’entreprise (RSE) à lever cette inégalité. Pour lutter efficacement contre les normes masculines et systémiques dans l’entreprise, celle-ci doit réviser l’ensemble de ses process de ressources humaines, depuis le recrutement jusqu’à la gestion des carrières, en passant par les actions de formation et de sensibilisation, et sans oublier bien sûr la rémunération, à l’aune des enjeux de l’égalité entre les femmes et les hommes.
Accompagner cette transformation, c’est ce que l’Orse propose à travers son ouvrage pédagogique « Tout savoir sur l’égalité professionnelle. »

Et si les petits pas pour les entreprises se transformaient en grands pas pour l’Égalité ?