Faire vivre la démocratie en santé, même en temps de crise

La période de pandémie que nous traversons actuellement a mis en évidence les forces et les faiblesses de notre système de santé. Elle a également interrogé notre capacité à mobiliser la démocratie sanitaire en ces temps de crise.

n°132 133 familles face à la crise sanitaire
Nicolas Brun, Unaf

Réalités Familiales n° 132/133

par Nicolas Brun, Coordonnateur du pôle Protection sociale et santé à l’Unaf

Les usagers et familles, acteurs du système de santé

Le principe de démocratie sanitaire a été établi par la loi du 4 mars 2002, relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, suite aux Etats Généraux de la santé de 1998-1999. Ce texte fondateur prévoit d’une part, l’explicitation de droits individuels attachés à la personne malade et d’autre part, la représentation collective des usagers du système de santé. Ce texte fait suite à des années de mobilisation, notamment associatives, visant à reconnaitre la capacité de la personne à pouvoir exprimer individuellement des choix vis-à-vis de sa santé, mais aussi collectivement, en ce qui concerne l’organisation du système de santé et la qualité et la sécurité des soins.

Depuis 2002, tous les textes législatifs ont réaffirmé la nécessité d’associer les usagers aux décisions les concernant et de faire participer leurs représentants aux instances de décisions ou de consultation visant à mieux organiser le système et garantir la qualité et la sécurité en ce domaine. C’est ainsi que l’on retrouve dans de très nombreuses instances des représentants adhérant à des associations d’usagers qui ont reçu un agrément santé, leur permettant de représenter les usagers et de défendre leurs droits.

Ces instances peuvent être des lieux de concertation, comme la Conférence nationale de santé (CNE), les conférences régionales de santé et de l’autonomie (CRSA), les Conseils territoriaux de santé (CTS). Des représentants de ces associations siègent également dans l’ensemble des agences sanitaires. Au niveau plus local, des représentants sont présents dans les Commissions des usagers des établissements de santé. L’Unaf et les Udaf se sont largement impliquées en ce domaine et de nombreux représentants des usagers présents au sein des établissements de santé sont issus des Udaf et des Mouvements familiaux.

Des représentants siègent dans bon nombre d’autres instances. Cette mobilisation concerne également le secteur du médico-social, au sein notamment des Conseils départementaux de la citoyenneté et de l’autonomie et des Conseils de la vie sociale, même si l’expression collective est organisée d’une manière un peu différente. C’est pourquoi on parle plus aujourd’hui de démocratie en santé plutôt que de démocratie sanitaire, car le champ d’intervention va au-delà du domaine strictement sanitaire.

Cette démocratie n’englobe pas uniquement les usagers, patients et familles, mais concerne également toutes les parties prenantes : professionnels, élus… L’objectif étant d’associer l’ensemble de ces acteurs à la construction d’un système de santé en capacité de répondre aux besoins de la population.

Associer les usagers aux décisions aurait pu faciliter leur compréhension

Face au phénomène épidémique que nous connaissons depuis mars 2020, nous aurions pu nous attendre à ce que cette ressource soit fortement mobilisée pour apporter des réponses issues de la société civile, d’autant plus que certaines de ces décisions sont potentiellement privatives de liberté ou concernent directement la vie quotidienne des familles. Malheureusement, cette sollicitation n’a été que trop rarement engagée. Certes, on peut comprendre que lors de l’apparition du virus, il y ait eu un moment de sidération, qui a conduit à ce que les mécanismes de concertation n’aient pas fonctionné. Il est plus difficile de l’admettre lors des semaines et mois qui ont suivi.

En effet, si l’expertise scientifique a été fortement mobilisée, son expression a parfois donné lieu à une certaine cacophonie, si ce n’est à des controverses, qui n’ont pas contribué à faire comprendre à la population les décisions politiques qui ont été prises. La communication gouvernementale a, elle aussi, été parfois incompréhensible, augmentant le sentiment de méfiance vis-à-vis de la parole publique. La prise de certaines décisions concernant le port du masque, la politique de dépistage, la mise à disposition d’équipements de protection, etc. a également contribué à développer cette défiance au sein de la population.
Il est vrai que la gestion de l’incertitude dans le domaine de la santé est particulièrement complexe et nécessite des ajustements permanents, néanmoins la communication en matière de santé publique suppose une compréhension des enjeux concrets et a besoin de cohérence, ce qui n’a pas toujours été le cas. Les associations auraient pu contribuer à améliorer cette compréhension et animer le débat public sur ces sujets afin que l’acceptabilité sociale soit au rendez-vous.

Des décisions peu concertées aux conséquences parfois délétères

De même, le fait d’aborder certains sujets par le seul prisme de la sécurité sanitaire a pu conduire à oublier l’analyse du bénéfice et du risque, si nécessaire à l’élaboration d’une réponse adéquate. Elle a par ailleurs aboutit à prendre des mesures privatives des libertés individuelles. Cela a été particulièrement délétère lors du choix d’un confinement strict des personnes âgées au sein des Ehpad* et de l’impossibilité pour les familles de maintenir un lien avec leurs aînés. Associer les CVS à cette réflexion aurait pu éviter la généralisation des mesures strictes de confinement qui ont été parfois très délétères pour les résidents et aurait permis de co-construire avec les personnes concernées et leurs familles des réponses adaptées, comprises et acceptables par tous1.

La prise en charge au domicile a pu être considérée comme le parent pauvre des politiques menées. L’appréciation de la dégradation du service rendu, le sentiment parfois d’abandon qu’ont pu ressentir certaines personnes fragiles ou aidants familiaux n’ont été que tardivement pris en compte, alors que les associations ont signalé cette situation très rapidement2.

Associations et corps intermédiaires peu écoutés malgré leurs demandes

Pourtant, les acteurs de terrain que sont les associations ont parfois eu un rôle d’alerte essentiel face aux remontées qu’elles pouvaient observer de leurs services, de leurs adhérents, ou des populations dont elles s’occupent. Elles auraient donc dû pouvoir participer plus largement à la construction de réponses adaptées3.

Nous pouvons faire le pari que la sollicitation des personnes concernées et des acteurs de la démocratie sanitaire aurait sans doute conduit à infléchir certaines décisions, ou pour le moins contribuer à établir des réponses plus en adéquation avec les besoins.

Par ailleurs, comme le soulignait le CCNE* dès le mois de mars 2020, il aurait été essentiel de mobiliser les corps intermédiaires, dont les associations et les relais au plus près des citoyens pour expliquer les mesures prises4. Ce même avis indiquait également que « la décision politique qui concerne toute la société et potentiellement ses valeurs fondamentales aurait dû être éclairée par l’expression de l’opinion citoyenne, ce qui aurait contribué à favoriser la confiance et l’appropriation de l’action des Pouvoirs publics par l’ensemble de la société. »

Cet éclairage aurait pu être donné si les Pouvoirs publics avaient, par exemple, accepté la demande des associations d’usagers5 et de certaines instances comme le Conseil scientifique6 ou la Conférence nationale de santé, de mettre en place, au côté du Conseil scientifique, un Comité de liaison avec la société civile, afin de l’associer à la définition de la stratégie. Malheureusement, s’il a bien été constitué un comité de contrôle et de liaison Covid-19, dans lequel siègent deux représentants de France Assos Santé, celui-ci est uniquement chargé d’associer la société civile et le Parlement aux opérations de lutte contre la propagation de l’épidémie, par suivi des contacts, ainsi qu’au déploiement des systèmes d’information, il n’aborde donc que le volet numérique de la lutte contre la Covid.

Il y aurait pourtant eu lieu de créer, dès le mois de mars, un comité de liaison qui aurait garanti l’expression d’une vision issue de la société civile et qui aurait contribué, à côté des recommandations proposées par le milieu scientifique, à éclairer la décision politique.

Cette mobilisation démocratique et citoyenne est le garant d’une acceptabilité sociétale de mesures qui s’inscriront dans le temps.

Ainsi, ni la Conférence nationale de santé, qui est souvent comparée à une sorte de « Parlement de la santé », ni les Conférences régionales de santé et de l’autonomie ou les Conseils territoriaux de santé n’ont été sollicités. D’un point de vue plus micro, les Commissions des usagers au sein des établissements de santé et les Conseils de la vie sociale ont été eux aussi trop rarement associés aux décisions ou à la gestion de la crise et ceci, même durant la deuxième vague de l’épidémie7.
Alors que cette crise fait apparaitre de très nombreux questionnements sociétaux et éthiques, nous n’avons pas encore réussi à trouver les modalités pour échanger collectivement, tant au niveau national que local, sur ces enjeux.

Usagers, familles et association, des acteurs indispensables du débat et des décisions publics

Les instances de démocratie en santé et les associations ne sont néanmoins pas restées sans rien faire durant ces derniers mois. La CNS s’est autosaisie de ces questions et a rendu plusieurs avis8 concernant la Covid-19. Dans ses avis, elle rappelait notamment l’importance de débattre des mesures de lutte contre la Covid-19, d’autant plus lorsqu’elles restreignent les libertés des personnes. Au niveau régional, certaines CRSA9 se sont également mobilisées et ont rédigé conjointement un avis sur cette crise. Quant aux établissements de santé, quelques-uns ont intégré des représentants des usagers dans leur cellule de crise et d’autres ont maintenu la tenue des séances des commissions des usagers à travers, notamment, l’utilisation des outils de visio-conférence, mais la grande majorité s’est abstenue de toute rencontre, voire de tout contact avec les représentants.
Les associations, dont celles issues du milieu familial, se sont largement mobilisées et ont mené de nombreuses actions d’information, de soutien, d’accompagnement auprès de leurs adhérents ou des publics auprès desquels elles ont l’habitude d’agir, mais le constat qui peut être dressé est que l’expertise scientifique et médicale a laissé peu de place à l’expertise patients ou associative10.

La démocratie en santé a près de 20 ans. Il est temps de l’estimer maintenant mature. Les usagers, les familles et leurs associations doivent être vus comme de véritables parties prenantes de l’organisation du système de santé. Ils doivent être considérés comme des acteurs indispensables à la mise en place de débats publics, afin que soient discutées collectivement et en toute transparence, les orientations des politiques de santé. La démocratie en santé ne doit pas être un simple concept législatif ou réglementaire, elle doit se vivre avec l’ensemble des acteurs et surtout ne pas être confinée ni oubliée… Même et peut-être surtout, en temps de crise. 

Une stratégie vaccinale plus concertée ?

Fin novembre un changement de stratégie s’est amorcé puisque plusieurs comités intégrant des représentants d’associations de patients ou d’usagers de santé ou des citoyens ont été mis en place. Un « comité citoyen » pour suivre la mise en place de la stratégie vaccinale a été constitué auprès du CESE. Ce même CESE a mis en place une commission temporaire vaccination présidée par la présidente de l’Unaf. Un comité des parties prenantes dans lequel siègent des représentants d’associations de patients rencontre toutes les semaines le cabinet du ministre des solidarités et de la santé. De même un comité des élus est également constitué. Enfin pour coordonner la stratégie vaccinale est créé le Conseil d’orientation de la stratégie vaccinale présidé par le professeur Alain Fischer dans lequel se trouve également des représentants d’associations.
Mais, la mise en place de ces comités est intervenu près de 8 mois après le début de la crise et contourne, une nouvelle fois, les instances existantes de la démocratie en santé où l’ensemble des acteurs peuvent débattre et proposer des orientations avec une approche plus globale des thématiques. Nous ne sommes pas à l’abri d’une vision nationale et en silo proposée par chaque comité avec un impact politique sans doute très variable. Les instances de démocraties sanitaires auraient sans doute permis de diminuer ce risque tout en étant au plus près des réalités et des opérateurs des territoires.