Histoire du droit de la consommation : une histoire particulière

Nous vous proposons une histoire du droit de la consommation qui ne respecte ni une chronologie des textes qui forment cette branche du droit, ni l’histoire du nouveau Code de la consommation refondu par ordonnance du 14 mars 2016. Une telle approche serait trop linéaire et ne révèlerait pas suffisamment les particularités de ce droit concernant la construction de la protection des consommateurs.

Réalités Familiales n° 126/127
Claire Ménard Réalités familiales 126-127

Réalités Familiales n° 126/127

Par Claire Ménard, Chargée des relations parlementaires, Unaf

Toutefois, le détail des particularités de ce droit, ses origines, ses objectifs mais aussi les sources nationales et supranationales des règles permettent de mieux comprendre les grandes lignes de l’histoire du droit de la consommation.

Quelques particularités du droit de la consommation

Un droit récent. Souvent la loi du 1er août 1905 marque pour certains la première loi du droit de la consommation mais la finalité de protection du consommateur comme objet premier de cette loi n’est pas clairement établie. En effet, cette loi réprimant les fraudes dans la vente des marchandises et les falsifications des denrées alimentaires et des produits agricoles avait moins pour but de préserver les intérêts des consommateurs que de protéger les commerçants honnêtes contre la concurrence déloyale des commerçants malhonnêtes liquidant leurs marchandises de qualité douteuse à plus bas prix.

Dès lors, il est unanimement établi que la naissance du droit de la consommation au début des années 1970 est liée à la société de consommation marquée par une consommation de masse rompant avec la logique de la relation contractuelle égale unissant un consommateur à un professionnel dans l’acte d’achat. La montée en puissance de la société de consommation s’accompagne de pratiques de vente plaçant le consommateur dans une triple situation d’infériorité (économique, technique et juridique) vis-à-vis des grandes enseignes ; ces dernières s’appuyant pour stimuler les ventes sur l’influence de la publicité et un accès accru au crédit. Le droit de la consommation trouve dès lors ses racines dans la réponse à apporter aux excès des professionnels mais aussi dans la quasi-incapacité du droit civil à rétablir l’équilibre de la relation contractuelle consommateur – professionnel.

Un droit dérogatoire au droit commun pour rééquilibrer les rapports de force, le droit de la consommation est caractéristique des pays développés, protégeant tant la personne du consommateur que ses intérêts économiques. Il est dérogatoire en ce sens qu’il n’intervient que de façon ponctuelle pour corriger les insuffisances du droit commun. Pour ne prendre qu’un exemple, le droit commun s’intéresse à l’intégrité du consentement après la conclusion du contrat sous réserve de nullité en cas de vice dans le consentement. Le droit de la consommation protège quant à lui l’intégrité du consentement avant et pendant la formation du contrat. Ainsi, il impose au professionnel une information du consommateur et ouvre un délai de réflexion et un droit de rétractation au consommateur. Ce sont les objets des lois du 22 décembre 1972 sur la protection des consommateurs en matière de démarche et de vente à domicile mais aussi la première loi Scrivener du 10 janvier 1978 relative à la protection des consommateurs dans le domaine de certaines opérations de crédit. La loi Hamon du 17 mars 2014 relative à la consommation a élargi ce délai de réflexion de 14 jours au lieu de 7 jours auparavant, applicable aux contrats conclus à distance et hors établissement.

Un droit spécial, qui n’exclut pas les autres droits et toujours en évolution. L’existence matérielle révélée par le Code de la consommation ne limite pas le droit de la consommation à ce seul code : il est à la croisée de plusieurs disciplines.
Le Code civil comme le Code du commerce peuvent aussi s’attacher à la protection du consommateur. C’est le cas pour la garantie des vices cachés et la responsabilité du fait des produits défectueux pour le premier ou la règlementation des ventes en soldes et à prix réduit pour le second. Du côté du logement, le Code de la construction et de l’habitation et la loi du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs s’intéressent aux contrats de bail par lesquels le consommateur est locataire. Il est possible de multiplier les exemples : la protection des patients dans le Code de la santé publique, les personnes âgées ou fragilisées dans Code de l’action sociale et des familles pour l’hébergement et les services à domicile.
Il est important de souligner que d’autres codes règlementent des contrats en protégeant les consommateurs : le Code des assurances règlemente le démarchage et les contrats à distance sur des produits d’assurance et le Code monétaire et financier encadrent les services financiers, l’accès au crédit, la procédure de surendettement sans oublier le droit au compte.

Un droit régulateur. Si le droit de la consommation a bien pour finalité de protéger le consommateur, il a aussi une finalité économique de régulation du marché des biens et services avec pour cette seconde dimension une influence marquée du droit européen. Le consommateur est protégé en tant que personne vulnérable mais aussi en tant qu’acteur économique, qui doit avoir confiance pour consommer. C’est une finalité importante pour le bon fonctionnement et le développement du marché.

Les sources du droit de la consommation

Les sources nationales
Une première période du droit de la consommation a porté la focale sur les moyens de contrebalancer la faiblesse du consommateur. Cette période est marquée par plusieurs textes de loi : la loi pionnière déjà citée relative au démarchage du 22 décembre 1972, suivie des lois Scrivener de 1978 sur les clauses abusives et le crédit à la consommation, puis en 1979 sur le crédit immobilier, ensuite en 1983 sur la sécurité des produits et services, en 1988, c’est la loi relative aux actions en justice des associations agréées de consommateurs et l’information des consommateurs sans oublier la loi Neiertz de 1989 relative à la prévention et au règlement des difficultés liées au surendettement des particuliers et des familles. La multiplication et l’éparpillement des textes manquaient toutefois de visibilité pour constituer un ensemble cohérent du droit de la consommation.

Une deuxième période a consisté en un travail de codification : il a fallu s’y reprendre à deux reprises. Une première étape s’est faite avec la loi du 25 mars 1993 pour la partie législative du Code de la consommation et la France était l’un des premiers états européens à se doter d’un tel code. Son adoption a facilité l’appréhension du droit de la consommation tant pour les bénéficiaires que pour les professionnels dans la connaissance de leurs obligations.

Le Code de la consommation a fêté ses 20 ans en 2013 mais avec le temps, il avait perdu sa cohérence et sa lisibilité, faisant l’objet de régulières modifications au rythme du droit européen. Les nouvelles technologies et l’arrivée de l’internet ont nécessité une adaptation des mécanismes classiques de conclusion des contrats, de l’information du consommateur et de la responsabilité des professionnels. Dès 2008, pouvoir avait été donné au gouvernement pour opérer sa refonte : c’est chose faite avec l’ordonnance du 14 mars 2016 pour sa partie législative et le décret du 29 juin 2016 pour sa partie règlementaire. Ces dispositions sont entrées en vigueur au 1er juillet 2016 et l’ordonnance a été ratifiée par une loi du 21 février 2017.
La refonte du Code de la consommation pour gagner en clarté et en accessibilité s’est faite autour de 8 livres articulant information des consommateurs et pratiques commerciales, formation et exécution des contrats, crédit, conformité et sécurité des produits et services, pouvoirs d’enquête et suites données aux contrôles, règlement des litiges, traitements des situations de surendettement, associations agréées de défense des consommateurs et institutions de la consommation.

Les sources européennes
A l’origine de la Communauté économique européenne, le Traité de Rome du 25 mars 1957 s’engage dans la constitution d’un marché économique unique laissant, de fait, peu de place à la politique de protection des consommateurs. Seul l’article 33 du traité relatif aux objectifs de la politique agricole commune précise « d’assurer des prix raisonnables dans les livraisons des consommateurs ». Cette mention est toujours présente dans l’article 39 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Le 14 avril 1975, la Communauté Européenne formule par résolution son premier programme de protection des consommateurs. Cette résolution reconnait cinq droits fondamentaux : le droit à la protection de la santé et de la sécurité, le droit à la protection des intérêts économiques, le droit à une position juridique renforcée, le droit à l’information et à l’éducation et le droit à la consultation et à la représentation dans la prise de décisions. En 1992, le Traité de Maastricht va beaucoup plus loin et affiche que la « Commission Européenne contribue à un niveau élevé de protection des consommateurs » : c’est le déclencheur d’une véritable politique européenne consumériste. En 2013, un nouveau poste de commissaire (issu de la commission sur les questions de santé et de protection des consommateurs) chargé de s’occuper exclusivement de la protection des consommateurs est créé. 
L’unification des normes consuméristes prend place dans un programme d’harmonisation maximale empêchant les Etats membres de maintenir des dispositions plus permissives ou plus contraignantes pour les professionnels ou encore plus protectrices pour les consommateurs. Dès lors, la transposition en droit français des directives les plus récentes se traduit parfois par un recul de protection. Pour conclure et ne prendre qu’un exemple, le projet de loi portant suppression de sur-transpositions de directives européennes en droit français en cours de discussion au Parlement français revient sur des mesures protectrices du consommateur introduites par la loi Lagarde du 1er juillet 2010 portant réforme du crédit à la consommation. Cette loi ne s’était pas seulement limitée à transposer la directive 2008/48/CE, puisqu’elle avait également réformé en profondeur le droit du surendettement. Aujourd’hui, le projet de loi propose de supprimer plusieurs règles de protection des consommateurs de crédits comme les messages d’avertissement et notamment la fameuse mention « le crédit vous engage et doit être remboursé. Vérifiez vos capacités de remboursement avant de vous engager » qui sera écrit en plus petit. Le projet de loi prévoit également que les prêteurs ne seront plus obligés de vérifier la solvabilité des emprunteurs de crédit renouvelable tous les trois ans, comme c’est le cas aujourd’hui. Il est estimé que ces normes sont pénalisantes pour la compétitivité des entreprises sans bénéfice pour les consommateurs et que, dès lors, la France va bien plus loin en matière d’encadrement des crédits que ce que demande l’Europe. Faut-il le rappeler, la loi Lagarde avec ces mesures de protection avait permis de faire baisser le surendettement en France en empêchant les consommateurs d’engager des crédits sans avoir les moyens de les rembourser. Les dossiers de surendettement avaient ainsi baissé de 21 %.