L’émergence des politiques publiques en faveur des personnes âgées

Au début des années 1960, la pauvreté demeure. La situation des femmes qui ont peu ou pas travaillé est souvent dramatique. L’allongement de la durée de la vie lié notamment aux meilleures conditions d’hygiène, aux progrès médicaux et à la prise en charge des soins par la Sécurité sociale est constaté et programmé, comme le précise déjà Alfred Sauvy, alors directeur de l’Institut démographique. La question des conditions de vie du 4e âge, c’est-à-dire des personnes très âgées qui perdent leur autonomie et deviennent dépendantes, commence à se poser.

Réalités Familiales n° 128/129
Claire Ménard RF 128-129

Réalités Familiales n° 128/129

Par Claire Ménard, Chargée des relations parlementaires, Unaf

Un point de départ unanimement reconnu : le rapport Laroque de 1962

Les raisons de cette prise de conscience tiennent aussi à l’évolution de la société et « l’éclatement familial » – parents et enfants ne vivant plus ensemble au même endroit – isolent les personnes âgées. Enfin, l’accélération des techniques et des connaissances dans de nombreuses professions tend à exclure les plus âgés du monde du travail.
Ainsi, très vite, la prise de conscience de ces situations et des évolutions démographiques conduisent les pouvoirs publics à confier à la Commission d’études des problèmes de la vieillesse, présidée par Pierre Laroque, la mission de dresser un état des lieux et de faire des préconisations afin de mettre en place à court et moyen terme des mesures globales et adaptées.

Le rapport Laroque publié en 1962 est resté l’acte fondateur visant à intégrer pleinement dans les politiques publiques les personnes âgées et l’allongement de l’espérance de vie. Les dispositions prises au cours des décennies suivantes telles que relever le montant des retraites, mettre en place et développer le maintien à domicile des personnes âgées, prendre en charge la dépendance, moderniser et fixer des normes pour les maisons de retraites, instaurer la formation professionnelle, prendre des mesures de fin de carrière pour les métiers pénibles …, ont été largement inspirées par les analyses et les préconisations du rapport Laroque.

L’intégration de la vieillesse dans la société peinera malgré tout à se réaliser. Il faudra attendre le VIe plan de 1971-1975 pour voir émerger des actions sanitaires et sociales favorables au maintien à domicile, plan préparé à la suite du rapport de l’intergroupe Personnes âgées, présidé par Nicole Questiaux. Un double objectif est clairement affiché : répondre aux besoins actuels d’une population d’un âge donné, agir sur les actifs d’aujourd’hui pour leur préparer une meilleure vieillesse demain. Il faut favoriser les politiques de maintien à domicile pour préserver au maximum l’indépendance et l’intégration sociale des personnes âgées. C’est à cette époque également que se structure le secteur social et médico-social avec la loi fondatrice du 30 juin 1975 d’orientation sur les personnes handicapées et relative aux institutions sociales et médico-sociales.

Le VIIe plan de 1976-1981 contient 25 programmes d’action prioritaire (PAP), dont le 15e prévoit d’aller plus loin concernant le maintien à domicile des personnes âgées en permettant le développement de l’autonomie des personnes âgées et leur participation sociale. De nombreux services sont mis en place pour ce faire. Il en va ainsi de l’information pour la préparation à la retraite, de la prévention alimentaire avec le recours à des diététiciens ou des services de portage de repas à domicile, du développement d’activités d’animation sportives et culturelles au travers des clubs des anciens.

Le tournant amorcé au début des années 1980 jusqu’à la fin des années 1990

Si pour la première fois, un Secrétaire d’Etat aux personnes âgées est désigné en 1981 en la personne de Joseph Franceschi dans le gouvernement de Pierre Mauroy, les années 1980 voient un ralentissement de la croissance et un creusement des déficits des budgets de la protection sociale avec des conséquences sur les soins et l’aide sociale en faveur des personnes âgées.

Avec les lois Defferre de décentralisation de 1982 et 1983 et la loi du 22 juillet 1983, une compétence de droit commun en matière d’aide sociale légale est confiée aux départements. Le département devient ainsi responsable de l’aide aux personnes âgées.

Dans ce contexte économico-institutionnel, les années 1980 sont marquées également par un virage négocié autour de la dépendance des personnes âgées, qui devient une question spécifique en France. L’approche du rapport Laroque d’une vieillesse, partie intégrante de la société est délaissée au profit d’une approche plus médicale de la vieillesse. Introduire la notion de dépendance revient à évaluer les incapacités des personnes concernées à partir de grilles de mesure pour déterminer les besoins d’aide et en apprécier le coût financier pour la collectivité et le reste à charge pour les familles.

Plusieurs publications en sont les témoins. En 1979, le député Maurice Arreckx rend un rapport sur « L’amélioration de la qualité de vie des personnes âgées dépendantes ». Parmi les propositions, figuraient l’amélioration des revenus par la mise en place d’une prestation financière mais aussi l’amélioration de la protection juridique, l’adaptation de l’hébergement collectif à la montée de la dépendance, l’humanisation de la prise en charge des personnes fortement dépendantes et la nécessaire coordination des actions médicale, sociale et médico-sociale.

Suivront, en mai 1988, le rapport de Théo Braun et Michel Stourm au secrétaire d’État chargé de la Sécurité sociale, Adrien Zeller, en juin 1991, le rapport d’information de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l’Assemblée nationale présenté par le député Jean-Claude Boulard et, en septembre 1991, le rapport de la commission du Plan présidée par Pierre Schopflin.

Ces rapports successifs soulèvent plusieurs interrogations sur la prise en charge de la dépendance : le mode de financement et la création ou non d’un système assurantiel, le public bénéficiaire par la mise en place d’un système universel ou bien ciblé sur les populations les plus démunies en lien avec la logique traditionnelle de l’aide sociale, le partage des responsabilités entre l’Etat et les collectivités locales et plus particulièrement les départements.

Après le temps des études et des expertises suivra très progressivement la mise en place de nouveaux dispositifs. Dans la loi du 25 juillet 1994 relative à la sécurité sociale, un article adopté par voie d’amendement prévoit la mise en œuvre de dispositifs expérimentaux d’aide aux personnes âgées dépendantes dans douze départements. En pratique, la prestation expérimentale dépendance (PED) est constituée par l’allocation compensatrice pour tierce personne financée par les départements, à laquelle vient s’ajouter, le cas échéant, une prestation supplémentaire dépendance (PSD), à la charge des caisses de retraite. La PSD, comme l’allocation compensatrice, est attribuée sur décision des COTOREP*.

Une nouvelle étape est franchie en passant d’un dispositif expérimental à un dispositif provisoire avec la loi du 24 janvier 1997 tendant, dans l’attente du vote de la loi instituant une prestation d’autonomie pour les personnes âgées dépendantes, à mieux répondre aux besoins des personnes âgées par l’institution d’une Prestation spécifique dépendance ! Cette prestation est gérée par les conseils généraux d’alors, elle est soumise à conditions de ressources, accordée à domicile ou en établissement, aux personnes de 60 ans et plus considérées comme dépendantes au regard de la grille nationale, la grille Aggir pour « Autonomie Gérontologie Groupes Iso Ressources ». Cette grille distingue six niveaux de dépendance : du GIR 1, niveau de dépendance le plus élevé au GIR 6 le plus faible. Le bénéfice de la PSD emporte un recours sur succession et donation au décès de la personne et vient financer un plan d’aide défini par les équipes médico-sociales selon ses besoins. A la fin de l’année 2001, le bilan de ce dispositif est plus que mitigé car face à une population estimée de 850 000 personnes âgées dépendantes, seulement 150 000 personnes bénéficiaient de cette prestation. Le principal motif de cet échec réside dans le recours sur succession qui dissuade les bénéficiaires potentiels d’en faire la demande.
Dans le même temps que se construit la mise en place d’une prestation destinée à couvrir en partie le coût lié à la dépendance, une diversification de l’offre de services pour le maintien à domicile se déploie.

Ainsi, l’emploi direct par les particuliers est encouragé notamment par l’exonération des charges sociales et fiscales pour les personnes âgées de plus de 70 ans et le développement de services mandataires est rendu possible en 1986. En 1993, c’est la création des chèques services, ancêtres du chèque emploi service universel (CESU). En 1996, le secteur de l’aide à domicile sort du seul giron des services publics et associatifs et s’ouvre aux entreprises sous condition d’agrément.

Les années 2000 avec des lois importantes : vers un 5e risque ?

La loi du 20 juillet 2001 remplace la PSD par l’Allocation personnalisée d’autonomie (APA). La conception en est fortement modifiée car cette prestation est construite comme un droit universel. Plusieurs blocages sont levés : la prestation bénéficie aux personnes dépendantes de niveau élevé à moyen donc pour les personnes évaluées en GIR 1 à 4. Le principe du recours sur succession est supprimé. Les critères de ressources sont assouplis. L’objectif d’augmenter le nombre des bénéficiaires est atteint. Selon les chiffres de la DREES, à la fin 2017, les bénéficiaires de l’APA sont 1,3 million en progression de 11,4 % par rapport à la fin 2010. La dépense mensuelle moyenne par bénéficiaire est de 533 euros pour les plans d’aide à domicile. 80 % du montant du plan d’aide est pris en charge par les conseils départementaux et 20 % en moyenne sont à la charge des bénéficiaires. Ce reste à charge correspond à 74 euros par mois, soit 21 % du plan d’aide pour les personnes en GIR 4. Il est de 195 euros par mois, soit 16 % du plan d’aide pour les personnes en GIR 1.

La canicule de l’été 2003 est un traumatisme important et met en lumière la situation d’isolement et d’exclusion d’un grand nombre de personnes âgées. Elle donne lieu à la loi du 30 juin 2004 relative à la solidarité pour l’autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées avec la création de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) et l’institution d’une journée de solidarité destinée à financer le renforcement des interventions en faveur de l’autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées.

Deux autres lois sont également importantes concernant l’affirmation des droits liés à la perte d’autonomie. La loi du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale, dite loi 2002-2, encadre davantage les pratiques et renforce les droits des usagers ; ainsi l’usager est placé au centre des préoccupations des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESMS). Elle impose ainsi un certain nombre d’obligations visant à garantir ses droits, que cela soit en lien avec la mise en place d’outils internes (livret d’accueil, charte des droits et libertés…) ou de systèmes de contrôle externe (autorisation de création et de transformation, principe d’une évaluation continue, interne et externe…). La loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées s’intéresse aussi aux droits des personnes âgées en situation de perte d’autonomie. Les réformes engagées visent à rapprocher les enjeux liés à la perte d’autonomie des personnes âgées et ceux liés aux situations de handicap. Tout désavantage social associé à une incapacité mérite un traitement similaire quel que soit l’âge des personnes.
Les années 2000 se caractérisent, par ailleurs, par le renforcement de la coordination gérontologique avec l’apparition des CLIC* et des MAIA*, mais sur ce point il existe de fortes disparités selon les territoires.

Enfin, la loi du 28 décembre 2015 relative à l’adaptation de la société au vieillissement, dite loi ASV, est le dernier grand acte en matière de politiques vieillesse. Cette loi, en posant dans son article 1er que « L’adaptation de la société au vieillissement est un impératif national et une priorité de l’ensemble des politiques publiques de la Nation », renoue avec les ambitions du rapport Laroque et rompt avec une approche de la dépendance centrée sur le « tout médical ». Le défi du vieillissement y est traité de manière plus globale : les aidants familiaux sont enfin reconnus ; la promotion de la prévention et de la participation sociale pour lutter contre l’isolement sont fortement encouragés ; la logique de marché liée notamment à une solvabilité accrue des générations du baby-boom est introduite. L’ambition de cette loi a toutefois accusé un recul faute de moyens financiers suffisants.

Après le lancement de la concertation nationale en octobre 2018, le projet de loi « Grand âge et autonomie » est attendu dans les prochains mois et relance le débat sur la création d’un 5e risque couvert par la Sécurité sociale. Ce débat n’est pas nouveau et a pour l’instant toujours échoué en raison des difficultés à faire émerger de nouveaux modes de financement.

Conclusion

La politique en faveur des personnes âgées dépendantes en France s’articule autour de plusieurs dispositifs. Initialement inscrit dans le cadre de l’action sociale, destiné aux personnes âgées dépendantes les plus démunies, le système s’est progressivement transformé et affiche aujourd’hui également une dimension universelle. Au fil des années, cette construction reprend certaines caractéristiques propres au système assuranciel sans aboutir à la création d’une nouvelle branche de la Sécurité sociale au sens traditionnel. L’enjeu actuel semble plutôt être la recherche d’une complémentarité entre une aide publique encore insuffisante pour couvrir les besoins et des dispositifs privés renforcés pour soulager les familles.