Pour que les familles soient au cœur de la relance d’après-crise

En 2020, alors que la pandémie mondiale s’étendait sur notre pays, 94 % des Français disaient faire confiance aux membres de leur famille. En grande partie, cette confiance les a aidés à traverser les complexités des phases successives de confinement et de restrictions. Les familles ont été, et restent encore, fortement mises à contribution avec cette crise sanitaire, économique, sociale, sociétale, qui persiste dans la durée.

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Pour que les familles soient au cœur de la relance d’après-crise par Guillemette Leneveu Unaf

Réalités Familiales n° 132/133

par Guillemette Leneveu, Directrice générale de l’Unaf

Cette crise montre combien les familles constituent la première ligne de solidarité, combien les relations entre chacun de ses membres est précieux, mais aussi combien elles peuvent être fragilisées. Les familles auront un rôle déterminant dans l’après-crise, elles doivent faire partie de la relance. C’est pourquoi elles ne doivent pas être oubliées.

Les familles ont dû faire face et ont permis à la société de tenir

Le confinement de 2020 et ses suites, ont fortement mobilisé les familles qui ont pris le relais des institutions. Les parents ont assuré simultanément travail et garde d’enfants, sans oublier le suivi pédagogique des enfants. Les aidants familiaux ont parfois dû cohabiter avec leurs proches âgés ou en situation de handicap, ou réorganiser leur prise en charge*. Cette crise a aussi révélé, du fait de leur absence pendant le confinement, toutes les solidarités intergénérationnelles du quotidien que l’on tenait pour acquises, sans pour autant les valoriser : aidants familiaux, grands-parents, parents de jeunes enfants, ou d’étudiants, pour ne citer qu’eux.

Premières atteintes, elles peuvent toutes être fragilisées

Aucune famille n’est épargnée. Les Ehpad ont mesuré l’impact négatif pour leurs résidents, de l’absence des familles, tenues à l’écart par le confinement. A domicile, les personnes âgées ont souffert aussi de la distanciation et de l’isolement. A l’hôpital, les séparations ont été brutales, ne permettant plus l’accompagnement de fin de vie. A la maison, les enfants ont été perturbés dans l’apprentissage scolaire, et sont confrontés à la réduction des activités. Les étudiants, revenus vivre chez leurs parent ou isolés, sont contraints à l’enseignement à distance et coupés de liens amicaux. Les parents sont confrontés à l’angoisse de la maladie, à l’apparition ou à l’aggravation de troubles de leurs enfants, à la peur de perdre leur emploi.

Le rôle crucial des associations et des métiers du lien

À côté de l’hôpital et des métiers du soin, les associations et les métiers du lien ont largement contribué à faire en sorte que la société « tienne ». En organisant une présence à domicile auprès des personnes isolées, en maintenant un approvisionnement, en continuant à accueillir un public fragilisé, en étant parfois seuls face au repli des services publics, les associations ont joué un rôle puissant dans la préservation des liens et la stabilisation des situations. Alors qu’elles ont montré leur rôle indispensable de solidarité de proximité, elles sont néanmoins fragilisées : l’investissement des bénévoles est rendu plus complexe du fait des contraintes de la crise sanitaire, et les activités proposées à leurs adhérents, perturbées. Leurs professionnels souffrent d’un manque de reconnaissance, que la crise vient exacerber en creusant l’écart entre les besoins croissants des personnes accompagnées et la faible valorisation des métiers du lien.

Sortir de la crise avec les familles

Dans les solutions de l’après-crise, notre pays devra tirer toutes les leçons de cette période, en innovant et en redonnant confiance.
L’avenir est en effet chargé d’incertitudes, avec des risques majeurs de destruction massive d’emplois, frappant directement les familles, les parents actifs comme leurs enfants en quête d’une insertion dans le monde du travail. Des catégories telles que les commerçants et travailleurs indépendants, sont notamment susceptibles de basculer dans la précarité.

Pour en sortir, il faudra réparer et redonner des perspectives pour tous. La réponse devra être globale, et devra transformer en profondeur les modes traditionnels de l’intervention publique, pour davantage agir sur le moyen et long terme, anticiper, décloisonner les approches. La relance mériterait de développer une nouvelle logique : celle d’une démarche axée sur la prévention, qui évite les dégâts économiques et sociaux plutôt que de les corriger a posteriori ; celle de privilégier des stratégies de politiques d’investissement comme c’est le cas pour la politique familiale, plutôt que des approches comptables à court terme, aux impacts durables négatifs. Une politique familiale claire, forte, équilibrée dans ses différents objectifs doit être considérée comme un levier socio-économique à part entière au cœur de l’après-crise.

Prioriser l’emploi et repenser la politique de conciliation vie familiale – vie professionnelle

La relance doit donner une ambition nouvelle aux politiques de conciliation vie familiale-vie professionnelle pour faciliter l’accès ou le maintien dans l’emploi de tous les parents et l’insertion des jeunes dans le monde du travail. La reprise économique est conditionnée par la capacité des Français à préserver ou à reprendre une activité. Il est donc nécessaire que les parents puissent trouver une meilleure conciliation et des modes de gardes adéquats, adaptés à leurs situations et à leurs choix.
La crise sanitaire a fait revenir au premier plan les besoins d’évolution des modes de travail et d’articulation avec la vie familiale. Parmi les formes d’organisation du travail, le télétravail est apparu comme une des solutions possibles, mais il montre aussi ses limites. L’étude menée par l’Unaf* a montré combien l’effet de l’explosion du temps parental a été massif dans toutes les configurations. Si les mères ont davantage réduit leur temps professionnel pour faire face à ce choc temporel, une majorité de pères se sont aussi révélés mobilisables. Ils le sont d’autant plus dans les situations d’égalité professionnelle au sein des couples. Preuve d’une évolution nécessaire du monde du travail pour favoriser cette égalité et permettre tant aux mères qu’aux pères de satisfaire leur besoin de temps parental.

Pour relancer les politiques de conciliation vie familiale-vie professionnelle, plusieurs pistes existent, qui combinent l’amélioration des congés parentaux avec celle de l’accueil du jeune enfant. L’objectif serait qu’aucun parent n’ait l’obligation de choisir entre son travail et ses responsabilités familiales.

Prévenir la dégradation des situations budgétaires

Les actions de prévention du surendettement et d’accompagnement budgétaire sont indispensables.

Il faut mobiliser le maximum de leviers pour éviter une dégradation des situations budgétaires des familles et un risque d’endettement. Des outils de prévention efficaces contre le surendettement, comme le déploiement des Points Conseil Budget, sont à encourager.

Il faut aussi pouvoir accompagner les changements d’habitude de consommation qui vont persister dans le temps, les prévenir des risques induits par les pratiques abusives d’un marketing intensif, porté par un usage plus massif du numérique.
En matière de logement, déterminant majeur du pouvoir d’achat et de la qualité de vie des Français, le confinement a révélé les inégalités dans les conditions d’habitation. Améliorer l’accession à la propriété permettrait que les familles évoluent, selon leurs besoins, leurs moyens et l’offre locale, entre logement social, logement locatif privé et accession. Un plan de relance de l’accession sociale à la propriété permettrait d’articuler des outils de politique publique comme le Prêt à Taux Zéro ou le fonds de garantie de l’accession sociale à la propriété, ainsi que les réflexions sur les dimensions financières, bancaires et fiscales.

Mieux tenir compte des enfants dans notre système socio-fiscal

Pour faire face aux inégalités qui s’accentuent avec la crise, il s’agit de mieux tenir compte du niveau de vie des familles, et donc de leur composition familiale. Une étude commandée par l’Unaf à l’OFCE a montré que les réformes des aides aux familles ont suivi une véritable logique inversée de la charge d’enfant : hormis pour les foyers les plus pauvres, plus les parents avaient d’enfants à charge, moins les réformes leur ont été favorables. Par ailleurs, les couples sans enfant ont été moins mis à contribution que les couples avec enfant. À niveau de vie égal, les couples avec enfant ont pu être jusqu’à quatre fois plus ponctionnés par les réformes, que les couples n’ayant pas ou n’ayant plus charge d’enfant. Or, selon des recommandations formulées par le rapport parlementaire sur l’adaptation de la politique familiale française aux défis du XXIe siècle, publié le 8 juillet 2020, les pouvoirs publics devraient mieux tenir compte de la charge d’enfant, y compris en termes de fiscalité, et à rendre effectif le principe d’universalité des prestations familiales.

Pour rendre la gestion du budget familial plus prévisible, il est aussi nécessaire d’agir en faveur de la stabilité fiscale et d’une indexation des prestations familiales qui tienne compte de la hausse des prix et des charges des familles.

Apaiser les conflits familiaux

Une logique préventive et responsabilisante doit prévaloir dans le soutien aux liens familiaux et à l’apaisement des conflits. Pour résoudre les tensions et prévenir les violences, les services familiaux existants, tels que ceux de médiation familiale et d’espaces de rencontre, doivent être soutenus. L’offre d’accompagnement en protection de l’enfance devrait être diversifiée, par le recours plus massif à la mesure judiciaire d’Accompagnement à la Gestion du Budget Familial. En effet, au cours de la crise, cette mesure a montré toute sa pertinence en résolvant les problèmes très concrets auxquels se heurtaient les familles, dans la gestion de leur vie quotidienne. Par ailleurs, en lien avec les CAF et MSA, les pouvoirs publics devraient inciter les communes à mettre à disposition des parents éloignés et sans moyens, des espaces pour qu’ils puissent simplement rencontrer leur enfant et exercer leur droit de visite.

Soutenir les familles confrontées à la perte d’autonomie de leurs proches

Les familles sont en première ligne et leur contribution est massive sur les questions de la dépendance et du handicap. La crise a dégradé les conditions d’action et de vie des aidants familiaux. L’enquête du Collectif dont l’Unaf est membre, a montré la forte sollicitation des aidants familiaux pendant le confinement : plus de la moitié n’ont pas eu d’aides extérieures ou familiales pour accompagner la personne aidée.

Les familles doivent être encouragées à participer à la vie des établissements d’accueils des personnes vulnérables. Elles y apporteraient des compétences qui améliorent la vie quotidienne des résidents et le fonctionnement des établissements. Concernant la prise en charge financière, les règles de la solidarité familiale, tout en étant conservées, devraient s’appliquer de façon plus harmonisée selon les territoires et bornées dans le temps afin de protéger les familles de coûts exorbitants, notamment en cas de long séjour en EHPAD.

Investir dans les territoires

L’explosion de colère des gilets jaunes a mis en évidence le sentiment d’abandon des territoires : disparition des services publics, des professionnels de santé (déserts médicaux), des commerces, des infrastructures de transport, défaillance de la couverture numérique. Le graal de l’aménagement du territoire était devenu celui des métropoles, avec autour d’elles des zones urbaines et péri urbaines. Même le mot « rural » avait été supprimé des statistiques de l’Insee. La réponse apportée à la crise des gilets jaunes a été le retour en grâce de tous ces territoires à faible densité, dit ruraux. La crise sanitaire a confirmé le rejet des métropoles par les français, et l’engouement pour de plus petites villes à taille humaine, alliant cadre de vie et préoccupations environnementales. Le grand défi de l’après-crise sera la revitalisation des commerces et la création de bassins d’emplois. Le plan de relance gouvernemental devra être réactivé. Dans ces territoires, il faudra, plus que jamais, investir, et soutenir les associations qui, par leur proximité et leurs innovations sociales, ont montré combien elles étaient indispensables, combien elles peuvent rendre de grands services pour le bien-être des familles.