Vie privée-vie professionnelle : la révolution télétravail enfin là ?

Avec la crise sanitaire, le télétravail s’est développé en France de manière rapide et inédite. Cette période exceptionnelle doit être le point de départ d’une réflexion sur les contours que les entreprises peuvent donner au télétravail de demain.

n°132 133 familles face à la crise sanitaire
Géraldine, Géraldine Fort, Déléguée générale de l’Orse, Réalités familiales

Réalités Familiales n° 132/133

par Géraldine Fort, Déléguée générale de l’Orse

Faut-il tirer profit de cette période pour pérenniser cette pratique ? Les retours du premier confinement sont clairs : d’après une étude de Malakoff Humanis, 84 % des télétravailleurs déclaraient vouloir continuer à télétravailler post-confinement. La crise sanitaire a également permis de se rendre compte qu’il y avait beaucoup plus de postes télétravaillables que les seuls définis jusqu’à présent, mais aussi de constater la capacité des collaborateurs à faire preuve d’autonomie, d’adaptabilité et de solidarité. Selon certains témoignages, cette crise et le télétravail imposé qui en a découlé, ont même permis d’humaniser les relations. Par exemple, le fait d’appréhender la vie quotidienne des collaborateurs à travers les visio-conférences, d’entendre des bruits d’enfants, de voir les espaces de vie des collaborateurs, développe un sentiment d’empathie plus que d’intrusion, puisque ces moyens de communication sont rendus nécessaires, pour tous, par la force des choses.

Mieux encadrer le télétravail, un défi particulièrement important

Il apparait néanmoins évident que le « télétravail d’urgence » n’est pas souhaitable à long terme. L’un des enjeux majeurs en faveur de la pérennisation du télétravail se trouve dans son organisation et sa structuration. Il est notamment indispensable que le dialogue social soit au cœur du déploiement du télétravail dans les entreprises. De plus, les pratiques de télétravail doivent être encadrées pour répondre à l’enjeu de l’équilibre vie privée / vie professionnelle. C’est un défi particulièrement important pour les entreprises, notamment du point de vue de la qualité de vie au travail.

Les entreprises doivent poursuivre la formation de leurs managers au management à distance. Le manager a en effet un rôle clé dans la coordination de l’équipe et dans l’instauration d’une culture bienveillante du télétravail. Certaines entreprises ont par exemple décidé de mettre en place des formations pour les télétravailleurs afin qu’ils soient capables de mieux gérer les outils numériques. D’autres entreprises ont proposé des évaluations ou auto-évaluations aux télétravailleurs, pour leur permettre de prendre conscience de leur capacité ou non à gérer leur poste de travail à distance et d’estimer leur autonomie.

Renforcer le cadre et la confiance

Le télétravail est un mode d’organisation particulier, qui peut soulever de nouvelles problématiques que les entreprises doivent prendre en considération. Tout d’abord, il faut à tout prix éviter l’instauration du « télétravail gris » sur le long terme, ce télétravail qui n’est pas formalisé d’un point de vue contractuel, ni encadré par une charte ou un accord collectif, et qui représenterait entre 60 et 70 % du télétravail en France, selon différentes études. En ouvrant le dialogue avec les partenaires sociaux et les collaborateurs, le télétravail doit être encadré d’un point de vue législatif. Cet encadrement est nécessaire car il permet de mieux anticiper l’organisation du télétravail, notamment dans les situations d’urgence comme celle que nous vivons actuellement. La question de l’équité est primordiale pour l’instauration du télétravail : équité entre les collaborateurs en télétravail et ceux qui restent sur site, mais aussi équité entre les télétravailleurs eux-mêmes. L’entreprise doit avoir conscience que les collaborateurs n’ont pas tous les mêmes conditions de travail au domicile (difficile accès à internet, logement exigu, rôle parental…). Ces questions d’équité doivent être au cœur des réflexions lors de la mise en œuvre du télétravail.

Un autre point primordial de la bonne réussite du télétravail est la confiance. Il s’agit ici d’éviter à tout prix la surveillance démesurée des collaborateurs en télétravail. La surveillance via des outils numériques qui est très encadrée en France, contrairement aux Etats-Unis par exemple, doit être portée à la connaissance des salariés et des instances représentatives du personnel.

Etre attentif à la santé des salariés et aux risques psycho-sociaux

Le télétravail peut parfois accroître les risques psycho-sociaux (RPS) lorsqu’il est synonyme de surcharge de travail et d’une sur-sollicitation, notamment par mail. Ici, je pense qu’il faut souligner l’importance du droit à la déconnexion, corolaire du télétravail et qui est inscrit dans le Code du travail depuis 2016. Selon une étude d’Harris Interactive, pendant le premier confinement, plus de 56 % des télétravailleurs ont consulté leurs mails en dehors de leurs heures de travail. Or ce droit à la déconnexion est particulièrement indispensable lorsqu’il est question de travail à distance car il permet de séparer le temps de vie professionnelle du temps de vie personnelle, malgré un même cadre spatial. Pour garantir ce droit à la déconnexion, les managers doivent respecter les horaires de travail dans leur envoi de mails mais aussi montrer l’exemple en se déconnectant eux-mêmes !

Les RPS sont également accrus par le sentiment d’isolement que le télétravail peut parfois procurer. Or nous savons que l’isolement peut engendrer des conduites addictives (hausse de la consommation de tabac, d’alcool). Pour répondre aux enjeux de ce que nous appelons à l’Orse « qualité de vie au télétravail », mais aussi aux enjeux de santé et sécurité des salariés, les entreprises doivent se prémunir contre ces risques d’isolement, en maintenant le lien social et la cohésion d’équipe.
Enfin, le télétravail, bien qu’il puisse avoir des effets positifs sur la santé des collaborateurs (meilleure qualité de vie, diminution du temps de transports, réduction du stress et de l’anxiété), engendre également une certaine sédentarité forcée. D’après une étude de l’Observatoire national de l’activité physique et de la sédentarité, lors du premier confinement 25 % des adultes ont augmenté leur temps passé assis et 36 % ont réduit leurs activités physiques et sportives. Au service du bien-être et de la santé des salariés, particulièrement en cas de télétravail, les activités physiques et sportives peuvent devenir un levier de RSE pour l’entreprise. C’est d’ailleurs un point que nous soulevons dans notre Guide sur « Les nouvelles pratiques du télétravail ».

Mieux équilibrer les temps de vie pour mieux vivre et travailler

L’équilibre entre vie privée et vie professionnelle est un enjeu primordial du télétravail. Depuis longtemps à l’Orse nous nous sommes saisis de cet enjeu, que ce soit dans nos différents travaux sur l’égalité professionnelle mais aussi dans nos réflexions au sujet des aidants familiaux et proches aidants. Dans le cadre du télétravail, le droit à la déconnexion est indispensable pour répondre à cet objectif de conciliation. D’un point de vue de l’égalité entre les femmes et les hommes notamment, nous savons que les contraintes de conciliation vie personnelle – vie professionnelle sont plus lourdes pour les femmes et représentent un frein pour leur carrière, voire pour l’accès à l’emploi. Les femmes sont par exemple sur-représentées dans les emplois à temps partiel. Nous considérons au sein de l’Orse qu’il est indispensable que le temps partiel soit choisi et non subi, c’est pourquoi les entreprises doivent veiller à mettre en place une politique de temps partiel choisi. Il s’agirait par exemple de faciliter la reprise d’un travail à temps plein après un certain temps pour celles et ceux qui le souhaitent, dans l’esprit d’un temps partiel « à durée déterminée ». De plus, les compétences des parents (faculté de décision, gestion du temps…) ou des aidants (empathie, pragmatisme…) doivent être valorisées par l’entreprise.

Certaines entreprises qui mettent en place du télétravail de manière régulière, prévoient dans leur politique d’égalité professionnelle que le télétravail puisse se faire sur des horaires normaux de travail mais aussi de manière décalée afin de mieux répondre à ces contraintes familiales. Le télétravail peut ainsi devenir un outil pour améliorer cet équilibre vie privée – vie professionnelle.

Mieux équilibrer les temps de vie, c’est permettre aux hommes et aux femmes de mieux vivre et mieux travailler. C’est aussi agir très concrètement en faveur d’une meilleure égalité professionnelle. Un tel équilibre ne peut être réalisé que lorsqu’il est accepté, et respecté, comme étant un droit qui apporte des avantages aux salariés, aux entreprises et à la société dans son ensemble.

Enfin, la question du sens au travail est de plus en plus prégnante, notamment chez les jeunes générations. Les entreprises doivent répondre aux attentes de plus en plus forte des collaborateurs, notamment du point de vue de la conciliation vie personnelle – vie professionnelle. Une valorisation de sa marque-employeur, une attractivité accrue ou encore une plus grande fidélisation des collaborateurs sont autant de bénéfices que connaitra l’entreprise qui met au cœur de sa réflexion et de son organisation, la conciliation vie privée – vie professionnelle.