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Actualités législatives du 21 au 25 novembre 2022

Proposition de loi constitutionnelle

Actualité législative

Au cours de cet examen, le Gouvernement dans la voix du Garde des sceaux, Ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti a précisé sa position sur sa Proposition de loi constitutionnelle :

« Après le Sénat le mois dernier, l’Assemblée nationale examine à son tour une proposition de loi constitutionnelle (PPLC) visant à protéger et à garantir le droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception, déposée par Mme Mathilde Panot.

Laissez-moi vous dire en préambule que j’en suis heureux. Le 13 juillet dernier, j’avais solennellement déclaré au Sénat qu’en tant que garde des sceaux, je soutiendrais toutes les initiatives parlementaires visant à constitutionnaliser le droit à l’IVG. Me voici donc au rendez-vous pour dire à cette assemblée, comme je l’ai dit au Sénat le mois dernier, que le Gouvernement est favorable à l’inscription du droit à l’IVG dans la Constitution.

L’histoire fourmille d’exemples de libertés fondamentales que l’on croyait acquises mais qui ont pourtant été rayées d’un trait de plume par les événements, les crises ou les lames de fond. C’est encore plus vrai des droits des femmes, parce que nos sociétés les ont bafoués durant des siècles.

Les événements qui se déroulent hors de nos frontières, partout dans le monde, nous le montrent avec force et acuité, comme la décision que la Cour suprême des États-Unis a prise en juin : le droit à l’avortement, qu’on croyait acquis depuis cinquante ans ne l’était, en réalité, pas du tout. Désormais, l’interruption volontaire de grossesse n’est plus un droit garanti par la Constitution fédérale. Les États sont donc libres de l’interdire ; certains ne s’en privent pas.

Parce que nous avons désormais la preuve que plus aucune démocratie, pas même l’une des plus grandes, n’est à l’abri, il nous faut rester particulièrement vigilants. Les auteurs de la présente proposition de loi, présentée par Mme Panot, proposent d’inscrire le droit à l’interruption volontaire de grossesse dans la Constitution. J’entends déjà des voix murmurer, s’élever, pour dire que l’exemple américain n’est pas transposable en France, où le droit à l’IVG est bien protégé.

Il est vrai que nos institutions fonctionnent différemment et que le Conseil constitutionnel français n’est pas la Cour suprême américaine. Il est vrai aussi que depuis que le droit à l’IVG a été consacré pour la première fois dans notre droit par la loi du 17 janvier 1975 relative à l’interruption volontaire de la grossesse, dite loi Veil, il a été conforté au fil des ans. Je pense à la dernière loi en date, celle du 2 mars 2022 visant à renforcer le droit à l’avortement, défendue par votre ancienne collègue Albane Gaillot, qui a allongé le délai légal de recours à l’IVG de douze à quatorze semaines ; à la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, qui a supprimé le critère de la situation de détresse ; ou encore la loi du 27 janvier 1993 portant diverses mesures d’ordre social, dite loi Neiertz, qui a dépénalisé l’autoavortement et créé le délit d’entrave à l’IVG.

Néanmoins, graver dans le marbre de la Constitution le droit fondamental à l’IVG me paraît plus que nécessaire en ces temps agités. D’abord, cette inscription aurait une valeur symbolique et bien sûr juridique. La Constitution est le texte fondateur de notre État de droit, le socle commun des valeurs et des libertés fondamentales de notre société. Inscrire le droit à l’IVG dans notre texte fondamental permettrait de le consacrer comme un droit fondamental et non simplement comme une liberté-autonomie.

Ensuite, il faut bien convenir de cette évidence : changer la Constitution est beaucoup plus difficile que changer la loi. Aujourd’hui protégé au niveau législatif, le droit à l’IVG sera demain protégé au niveau constitutionnel. Cela signifie que le législateur ne pourra pas le remettre substantiellement en cause ; seul le pouvoir constituant le pourrait. La démocratie, l’état de droit et les droits fondamentaux sont des biens précieux : il est de notre devoir de les préserver. Ne prenons pas de risque et protégeons le droit à l’IVG.

Le droit à l’avortement, largement partagé au sein de l’Union européenne, a toutefois été récemment remis en question par plusieurs de nos voisins – vous l’avez rappelé, madame la présidente Panot. En Hongrie, par exemple, les femmes ne peuvent plus avorter sans avoir préalablement dû écouter les battements de cœur du fœtus. Certes, il m’est difficile de me mettre à place des femmes qui subissent cela, mais je voudrais qu’on s’arrête un instant, dans le silence et le recueillement, sur la violence inouïe infligée aux femmes hongroises par cette obligation. Je le dis tout net : tant que je serai garde des sceaux et tant que cette majorité gouvernera, nous ne permettrons jamais qu’une telle violence soit imposée aux femmes françaises.

L’avenir charrie pourtant sa part d’incertitudes ; c’est pourquoi nous voulons constitutionnaliser ce droit, d’autant qu’il ne fait l’objet d’aucune harmonisation dans l’Union européenne. À cet effet, le Président de la République a lancé en janvier dernier le chantier ambitieux, mais ô combien nécessaire, de l’inscription du droit à l’IVG dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Ce faisant, l’Union européenne, qui nous a déjà apporté la paix, apportera aux droits des femmes la protection qu’ils méritent.

Mesdames et messieurs les députés, ne vous trompez pas : inscrire le droit à l’IVG dans la Constitution n’est pas une mesure gadget, un artifice de communication ou une réaction de panique devant un exemple lointain. Inscrire le droit à l’IVG, cette liberté fondamentale et inaliénable de la femme, est une sécurité pour toutes les femmes de notre pays. Les temps troublés et les remous ne sont jamais loin du frêle esquif de la démocratie. Faites en sorte que nous ne nous lamentions pas de n’avoir pas sauvegardé aujourd’hui ce droit fondamental qui pourrait être remis en cause demain.

Que les choses soient claires : il ne s’agit pas là d’une entreprise aisée. Je le dis avec gravité : on ne doit toucher à la Constitution que d’une main tremblante. C’est pourquoi il nous faut avoir à l’esprit que la rédaction que vous retiendrez aujourd’hui, lundi prochain ou lors des futurs débats, sera déterminante. Une rédaction inadaptée pourrait conduire à consacrer un accès sans aucune condition à l’IVG – à des IVG réalisées bien au-delà de la limite légale en vigueur, par exemple. Une écriture mal soupesée pourrait également se révéler trop rigide et empêcher une adaptation possible du dispositif actuel, si celle-ci était nécessaire, comme en mars dernier. Au cours des débats, nous devrons rester très vigilants sur ces possibles effets de bord. Il nous faudra également le rester sur le choix de la place à laquelle inscrire le droit à l’IVG dans la Constitution, afin de donner à cette reconnaissance tout son sens et toute sa cohérence au regard des autres dispositions constitutionnelles.

Je ne veux pas ternir votre enthousiasme, mais il nous faut désormais tenir compte du vote du Sénat du 19 octobre dernier. En effet, modifier la Constitution nécessite que la proposition de révision soit adoptée dans des termes identiques dans les deux chambres. Or les sénateurs ont rejeté d’emblée la proposition de loi de la sénatrice Mélanie Vogel, qui ressemblait peu ou prou à la version dont nous débattons aujourd’hui. De nombreux amendements seront débattus et c’est le rôle du Parlement que d’affiner les textes qu’il examine. Toutefois, je me dois de rappeler ce principe de réalité : mener à son terme ce chantier historique nécessite de prendre en compte toutes les contraintes politiques en présence dans les deux chambres. C’est pourquoi je suis réservé quant à l’écriture actuelle, qui n’a à mon sens quasiment aucune chance d’aboutir compte tenu de mes discussions qui ont eu lieu au Sénat le mois dernier.

Si je me félicite que la commission des lois de l’Assemblée ait quant à elle adopté deux textes, je peux vous dire d’emblée que celle du Sénat n’a pas accepté un texte qui visait à constitutionnaliser également l’accès à la contraception. C’est pourquoi, conformément à mon engagement et aux déclarations fortes de la Première ministre, je soutiendrai les propositions qui se concentrent sur l’IVG, car la Constitution ne peut se modifier si on laisse de côté l’une des deux chambres. Si nous voulons donner à ce chantier commun toutes les chances d’aboutir, il nous faut faire preuve de réalisme. Sur ce point, l’écriture actuelle de la proposition de loi de la présidente Aurore Bergé et de votre collègue Marie-Pierre Rixain nous semble plus à même d’aboutir.

Mais j’ai noté, madame la présidente Panot, que des amendements avaient été déposés en ce sens ; je les lis avec sagesse. Toutefois, la rédaction idoine, à la fois ambitieuse, calibrée, fidèle à l’esprit de la Constitution et à notre ambition, reste encore à dénicher.

C’est pourquoi le travail du Parlement doit se poursuivre, ainsi que l’a indiqué le Président de la République la semaine dernière. Je veux d’ailleurs saluer de manière républicaine l’ensemble des initiatives qui se sont fait jour dans les deux chambres, qu’elles émanent de l’opposition ou de la majorité. Je vous livre le fond de ma pensée : je reste optimiste, car le Sénat n’a rejeté le texte que par dix-sept voix. Je considère que c’est un échec porteur d’espoir. Le Sénat a, si j’ose dire, assumé son vote de rejet, tout en se montrant particulièrement ouvert au dialogue. Je constate avec tristesse que l’on peut se livrer à ce petit jeu d’obstruction parlementaire sur un sujet aussi grave.

J’observe que ce sont les mêmes qui nous reprochent d’importer les débats américains et qui importent les pires méthodes américaines : nous avons ce matin une mauvaise leçon de filibustering – en bon français.

Vous allez comprendre : la nuit dernière, des dizaines de sous-amendements ont été déposées, sans répit, et ce, alors que le sujet qui nous réunit ce matin est particulièrement grave : le droit des femmes à disposer de leur corps. Le droit à l’interruption volontaire de grossesse est une condition indispensable à l’émancipation des femmes sans laquelle l’égalité, principe cardinal de notre République en vertu de l’article 2 de la Constitution, ne saurait être pleinement respectée.

Je le répète, pour ces messieurs-dames qui produisent des amendements comme on produirait des gravillons pour gripper la machine : la volonté politique est là. Le Gouvernement est favorable à l’inscription du droit à l’IVG dans la Constitution ; l’Assemblée nationale, je l’espère, sera favorable à l’inscription du droit à l’IVG dans la Constitution ; je ne perds pas espoir, avec un dialogue nourri et un travail approfondi, que le Sénat soit peut-être favorable à l’inscription du droit à l’IVG dans la Constitution.

C’est pourquoi je vous le dis à tous, comme je l’ai dit à vos collègues sénateurs le mois dernier : travaillons encore, cheminons ensemble afin de mener à bien cette réforme historique afin que nous puissions dire avec la plus grande force qui soit aux générations actuelles et futures de Françaises, « Mesdames, votre corps vous appartient », point. »

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