Aidants familiaux : un besoin urgent d’accompagnement et de soutien

La crise sanitaire de la Covid-19 a mis en lumière le rôle de ces parents, de ces conjoints, de ces enfants, de ces frères et sœurs, qui accompagnent leur proche malade, en situation de dépendance liée à l’âge ou en situation de handicap. Ce sont ces aidants familiaux qui ont pallié la fermeture des établissements, des accueils de jours… en assurant l’aide nécessaire à leur proche, la continuité des soins ainsi qu’une qualité de vie décente.

n°132 133 familles face à la crise sanitaire
Céline Bouillot Réalités familiales

Réalités Familiales n° 132/133

Céline Bouillot, Chargée de mission aidants familiaux, Unaf

Afin d’évaluer l’impact du confinement sur les aidants et sur leurs besoins, le Collectif Inter-Associatif des Aidants Familiaux (CIAAF) en collaboration avec l’Institut de recherches économiques et sociales (IRES), ont réalisé une enquête en ligne entre le 24 avril et le 25 mai 2020. 1032 aidants y ont répondus. Il s’agit principalement de femmes (77,8 %), âgée entre 50 et 59 ans (30,2 %), même si toutes les catégories d’âge sont représentées. Ces aidants sont pour plus de la moitié en emploi. Ils accompagnent quasi en totalité un membre de leur famille (98,5 %), âgés pour un quart de plus de 60 ans, pour un quart de moins de 20 ans et pour moitié entre 20 et 59 ans.

Impact du confinement : une intensification de l’aide couplée à un isolement de l’aidant

Le confinement a conduit à une charge supplémentaire pour les aidants. En effet, beaucoup d’aidants ont vu leur rôle élargit à de nouvelles taches, dont des actes techniques ou intimes, qui peuvent déstabiliser les relations familiales. Ainsi, selon notre enquête, plus d’un aidant sur deux témoignent avoir aidé plus souvent qu’avant le confinement à l’élimination des selles et des urines (50,7 %), à la toilette (51,5 %) ainsi qu’aux soins de rééducation (53,7 %). Par ailleurs, on constate pour l’ensemble des 17 tâches proposées une intensification de l’aide. Cette intensification est particulièrement marquée concernant trois actes, réalisés plus qu’avant le confinement : la surveillance (79 %), l’aide à la stimulation (78 %), le soutien moral (69,9 %).

Or parallèlement à cette intensification de l’aide, les aidants ont été davantage seul à accompagner leur proche pendant le premier confinement. En effet, si 67 % d’entre eux étaient accompagnés dans leur rôle d’aidant avant le confinement, que ce soit par un professionnel ou un autre membre de la famille, il n’était plus que 48 % à être accompagné pendant le confinement. Cet isolement a été majoritairement contraint : si la fermeture des établissements reste la principale cause de l’isolement des aidants (46 %), on constate également que les solidarités familiales n’ont pas pu s’exercer pleinement. Ainsi 16 % des aidants expliquent que le membre de la famille qui les aide habituellement n’a pas pu se déplacer du fait du confinement.

Quelles conséquences pour les aidants ? Quel vécu ?

Cette intensification des tâches et cet isolement contraint pour les aidants ce sont traduit par un épuisement physique et moral et ont également été source d’un stress conséquent. En effet, la situation sanitaire a fait émerger de nombreuses questions pour les aidants : que deviendra mon proche si je suis positif au Covid-19 ? Comment assurer la continuité des soins de mon proche ? De quelle façon maintenir du lien avec mon proche confiné en établissement ?

Les verbatim issu de l’enquête sur l’impact du confinement sur les aidants, témoignent bien d’un épuisement, d’une inquiétude liée à l’impossibilité de rendre visite à son proche confiné en établissement, d’une peur de « mal faire » les soins ou la rééducation… Les aidants ont également exprimé un stress lié à la situation sanitaire, comme par exemple l’absence de protection fournit aux services d’aide à domicile et la peur de la contamination.

En revanche, les aidants cohabitant avec leur proche accompagné ou qui ont pu maintenir des visites à leur domicile, ont manifesté un ressenti positif pendant le confinement : celui d’un lien resserré entre l’aidant et la personne qu’il accompagne. Si des situations de violence, voire de maltraitance de la personne accompagnée comme de l’aidant se sont manifestées lors du confinement [1] , l’enquête du CIAAF et de l’IRES, fait apparaitre qu’une majorité d’aidants témoignent avoir redécouvert leur proche, avoir pu constater des progrès dans leur autonomie et avoir passé des moments de complicité.

La difficile conciliation du rôle d’aidant avec les autres aspects de la vie exacerbée par le confinement

Les aidants ont connu une hausse des difficultés pour concilier leur rôle d’aidant avec quasi tous les autres aspects de leur vie : leur vie familiale, leur vie professionnelle, leur santé, leur vie de couple, leur vie affective et sexuelle…

Ainsi ils sont 44,5 % à mentionner une moins bonne conciliation de leur rôle d’aidant avec leur vie professionnelle pendant le confinement. Faute de pouvoir « assumer correctement [leurs] devoirs et obligations professionnelles » [2], de nombreux aidants mentionnent envisager d’arrêter ou suspendre leur activité pour pouvoir s’occuper de leur proche. Néanmoins, ils témoignent tous de la difficulté financière que cela représenterait ainsi que l’impact négatif sur leur moral et leur vie sociale.

Pour les aidants ayant pu bénéficier du télétravail, les retours sont ambivalents. En effet, pour certains, ce mode de fonctionnement a permis une plus grande flexibilité, et une organisation simplifiée. En revanche pour d’autres, cela s’est traduit par une difficulté accrue à séparer les temps liés à sa vie professionnelle de ceux liés à l’aide apportée : qu’ils soient cohabitant ou non, ces aidants disent avoir davantage été sollicité sur leur temps de travail par la personne accompagnée, la notion de télétravail ayant été difficilement comprises par la personne âgée, malade ou en situation de handicap.

La moins bonne conciliation concerne également la vie familiale (35,9 %), la vie de couple (36,8 %), ainsi que la vie affective et sexuelle (39 %). Les aidants témoignent notamment sur ces différents aspects d’un sentiment de culpabilité qui semble renforcé par le manque de temps à consacrer aux autres membres de la famille, et les possibles reproches et/ou incompréhensions du conjoint ou des autres enfants.

Le rôle d’aidant pendant le confinement a également conduit les aidants à moins prendre soin de leur santé (48,3 %).

Comment mieux accompagner et soutenir les aidants ?

Pendant le premier confinement, trois besoins ont particulièrement émergé : un soutien moral et une écoute, un recours aux services d’aides à domicile dans les taches réalisées par l’aidant, ainsi qu’un besoin de répit. Pendant le second confinement deux de ces trois besoins sont restés les mêmes : les solutions de répit, et l’écoute et le soutien moral. En revanche le recours aux services d’aide à domicile a été devancé par un besoin d’aide financière, afin de pouvoir solliciter différentes solutions d’accompagnement pour eux et le proche qu’ils accompagnent.

Malgré l’existence des besoins, on constate, entre les deux périodes de confinement, que de nombreux aidants n’ont pas pu bénéficier de ces solutions. En effet, s’ils étaient plus de 81 % à déclarer avoir besoin de recourir à une aide en avril 2020, près d’un aidant sur deux n’avait toujours eu recours à une solution en novembre 2020. Si avant le confinement les deux principaux freins aux recours mentionnés par les aidants étaient la lourdeur et la complexité des démarches administratives (44 %) d’une part, et le reste à charge (38,4 %) liés à ces solutions d’autre part, on voit apparaitre une 3e cause au non-recours entre les deux confinements : le manque d’offre.

La crise sanitaire et les périodes de confinement auront contribué à rendre visible des dysfonctionnements préexistants concernant la prise en charge des personnes en perte d’autonomie et en situation de handicap ainsi que ceux concernant l’accompagnement des aidants familiaux. La création de la cinquième branche relative à l’autonomie, dont la gouvernance a été attribuée à la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, ainsi que la future loi Grand-âge et autonomie, devront répondre aux besoins des aidants en intégrant les différents enjeux mis en lumière par la crise : offre de répit, offre et qualification des services d’aide et d’accompagnement à domicile, reste à charge. 

[1] Si le service d’écoute des victimes de violence conjugales a été fortement sollicité pendant le confinement, la Fédération 3977, dispositif d’alerte sur les risques de maltraitance envers les personnes âgées et les adultes handicapés, n’a pas constaté pendant le premier confinement de hausse des appels ou signalements.

[2] Verbatim issu des résultats de l’enquête CIAAF-IRES