La protection de l’image en ligne des tout-petits
La venue au monde d’un enfant est pour chaque famille un moment de joie et de fierté qu’il semble naturel de vouloir partager. Pour beaucoup de parents, publier des photos de son enfant sur les réseaux sociaux est un geste anodin, dont ils ne mesurent pas les conséquences.
Réalités Familiales n°140/141Réalités Familiales n° 140/141
Par Stéphanie Pouria, Chargée de mission numérique à l’Unaf
De nombreux enfants héritent d’une identité numérique créée par leur parent, et ce parfois avant même la naissance : 39 % des bébés ont une empreinte numérique avant leur venue au monde1. 43 % des parents publient des photos de leur enfant sur les réseaux sociaux. Cette pratique de plus en plus répandue est désignée par le terme sharenting*. Mais à quelles conséquences les parents qui publient des photos de leurs enfants sur les réseaux sociaux les exposent-ils ?
Le droit à l’image des enfants
Le droit à l’image, qui découle du droit au respect de la vie privée, prévu à l’article 9 du Code civil, signifie que chacun a le droit de posséder ses propres images. En d’autres termes, toute personne a le droit de s’opposer à la production, la publication et/ou l’utilisation de son image sans son consentement. Ainsi, diffuser, capter ou transmettre à la sphère publique l’intimité de la vie privée de quelqu’un sans son consentement est passible d’un an de prison et d’une amende pouvant aller jusqu’à
45 000 euros, comme prévu dans l’article 226-1 du Code pénal.
Cependant, au regard de la loi, rien n’oblige les parents de demander l’autorisation de leur enfant avant de prendre et/ou publier son image sur les réseaux sociaux. En effet, les parents détiennent l’autorité parentale, et à ce titre, l’autorisation pour le droit à l’image de leur enfant. Mais l’intérêt de l’enfant doit primer dans toute prise de décision. De plus, quand l’autorité parentale est conjointe, il faut l’autorisation des deux parents, car la jurisprudence considère que la publication de l’image d’un enfant est considérée comme un acte non usuel. « Ainsi, en 2016, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence a, pour la première fois dans la jurisprudence, condamné une mère à fermer le compte Facebook de sa fille de 8 ans à la demande du père lors de leur divorce. Le nombre de personnes abonné à ce compte avait été considéré comme un obstacle au développement et à la socialisation de la fille. ». Jurisprudence confirmée par la Cour d’appel de Paris, le 9 février 2017 qui a « interdit à chacun des parents de diffuser les photographies des enfants sur tous supports sans l’accord de l’autre parent ».
Néanmoins, rien n’empêche un enfant, à partir du moment où il est en âge de formuler son avis, de demander le retrait des images. Depuis le 13 mai 2014, un arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne stipule que toute personne peut faire valoir son droit à l’oubli en ligne. Et ce droit à l’oubli est renforcé pour les mineurs à travers la mise en place du Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD). Désormais, la Loi2 prévoit un droit à l’oubli spécifique et une procédure accélérée pour l’exercice de ce droit. Malheureusement il est parfois difficile de supprimer toute trace d’une photo qui a circulé sur la toile.
L’enfant peut aussi porter plainte contre ses parents pour non-respect de son droit à l’image. Un mineur accompagné par un majeur (parents, avocats…) peut en effet aller en justice pour le préjudice reçu après des photos publiées en ligne. Ce cas n’est pas encore arrivé en France, mais s’est déjà produit dans d’autres pays comme l’Italie ou l’Autriche.
À noter aussi que lorsque l’image d’un enfant de moins de 16 ans est utilisée à des fins commerciales (enfants influenceurs), elle est encadrée par la loi du 19 octobre 2020. Ainsi, ils jouissent des mêmes règles protectrices dans le Code du travail que les enfants qui exercent une activité dans le monde du spectacle. Les parents doivent donc demander une autorisation auprès de l’inspection du travail.
Au-delà du droit à l’image, quelles sont les autres conséquences ?
La publication en ligne de photos et vidéos d’enfants soulève plusieurs autres questions : l’empreinte numérique de l’enfant, la protection de sa vie privée en ligne, son exposition à de possibles prédateurs et les conséquences que cela peut engendrer quand l’enfant grandit.
En effet, quand les parents publient des photos en ligne de leur bébé, ils sont garants de son image numérique3 et leurs actions forgent sa réputation en ligne malgré lui. Concrètement, un enfant n’assumera certainement pas que des photos de lui en couche culotte circulent au-delà de sa sphère familiale. En effet, les images peuvent ressurgir à l’adolescence de l’enfant qui de fait peut se retrouver en situation de moquerie par ses pairs. Qui n’a jamais été embarrassé face à des photos d’enfance issue d’un vieil album de famille ? Sur Internet, tous les internautes du monde peuvent potentiellement tomber sur ces photos. Et au moment de la construction identitaire des jeunes adolescents, cette exposition peut être très mal vécue.
De plus, si les parents ne sont pas suffisamment vigilants et que leur compte n’est pas assez protégé, n’importe qui peut avoir accès à ces images qui peuvent être détournées par des personnes malveillantes et servir au voyeurisme.
Parmi les principaux risques, on retrouve :
- Les sites inappropriés ou illégaux : en 2017, un spécialiste néerlandais de la cybersécurité a dénoncé un site russe hébergeant des millions de photos d’enfants dérobées sur les comptes en ligne de leurs parents. Autre exemple d’une maman blogueuse qui publiait régulièrement des photos de ses enfants, à constater que la page avec une photo de son bébé nu était particulièrement visitée.
- Les usages publicitaires : un réseau social peut revendre cette photo à une entreprise tierce à des fins publicitaires, sans demander le consentement. De plus, ces photos peuvent être une mine d’informations pour créer votre profil et ainsi cibler les publicités qui apparaissent dans les fils d’actualité.
Et la transmission dans tout ça ?
La publication de l’image de son enfant peut affecter l’éducation transmise notamment concernant l’importance du respect du droit à l’image de chacun. En clair, si les parents publient des photos de leur enfant sans leur consentement, il leur sera plus difficile de les éduquer au respect au droit à l’image et à la non-divulgation de leur image à tout va sur les réseaux sociaux sans réfléchir aux possibles risques. En effet, comment expliquer à un enfant de ne pas poster de photos de lui sur les réseaux sociaux, si les parents eux-mêmes n’ont pas respecté cette règle dans ses jeunes années et ont même diffusé des photos qui peuvent être embarrassantes pour plus tard.
Pour les parents, un besoin d’accompagnement dans leurs pratiques numériques
Il fortement déconseillé de publier des photos de ses enfants sur Internet, en particulier sur les réseaux sociaux américains qui s’attribuent la propriété des images et peuvent en disposer à leur guise et de plus sans le consentement du dit concerné (et il parait difficile d’avoir le consentement d’un très jeune enfant).
Dans ce contexte, la Gendarmerie avait lancé une campagne d’information à destination des parents pour contrer une chaine de publication « Si tu es fière de tes enfants, poste 3 photos et nomine 10 de tes amies pour faire pareil ! », pour leur rappeler que poster des photos de ses enfants sur Facebook n’était pas sans danger. Et aussi l’importance de protéger la vie privée des mineurs et leur image sur les réseaux sociaux.
Si les parents souhaitent tout de même partager des photos en ligne, voici quelques précautions d’usage :
- Partager des images où on ne distingue pas le visage de l’enfant
- Ne pas identifier l’enfant et ne pas divulguer d’information personnelle
- Ne pas diffuser des images qui portent atteinte à l’intérêt de l’enfant et au non-respect de sa vie privée (les images « intimes » telles qu’un enfant en maillot de bain, en couche culotte, sur le pot …)
- Privilégier les SMS par téléphone pour transmettre des photos à ses proches.
- Paramétrer ses comptes de façon sécurisée.
- Préférer les réseaux sociaux sécurisés qui respectent le RGPD européen et
- Être attentif aux conditions d’utilisation et aux paramétrages de ses réseaux sociaux.
Face au déploiement des écrans et des outils numériques au sein des familles, les parents ont un rôle fondamental à jouer pour protéger et guider leurs enfants. Pour les accompagner, l’Unaf et les Udaf sont particulièrement impliqués dans le soutien à la parentalité numérique, à travers de nombreuses actions dans les territoires, mais aussi avec le site « Mon enfant et les écrans » qui propose une mine d’informations claires, pratiques et mises à jour régulièrement. Autant d’outils dont peuvent se saisir les professionnels pour sensibiliser les parents sur la thématique du partage de photos, mais aussi plus largement pour permettre aux parents d’éduquer ses enfants dans une pratique sereine et responsable du numérique.
1/ Étude menée en France avec l’institut de sondage Gece pour faireparterie, sur un échantillon de 1 000 parents d’enfants de moins de 18 ans. Le questionnaire a été diffusé sur Internet du 16 au 26 août 2021.
2/ Article 40 de la loi Informatique et Libertés
3/ www.mon-enfant-et-les-ecrans.fr/preservez-la-e-reputation-de-votre-enfant/