Revue Recherches Familiales

Recherches Familiales n°19 : Familles et professionnel.le.s

Le numéro 19 de la revue Recherches Familiales de l’Unaf vient de paraître, intitulé «Familles et professionnel.le.s».

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Numéro 19 de la revue Recherches Familiales : Familles et professionnel.le.s

Introduction

Lynda Lotte Hoareau, Anne Thevenot & Gilles Séraphin

L’intervention des professionnel·le·s auprès des familles interroge d’emblée le contexte, la nature et le cadre dans lequel s’inscrivent les actions à mener (conseil, accueil, protection, accompagnement, soutien, aide, formation, soin…) ainsi que les conditions effectives de leur collaboration. Les missions professionnelles s’inscrivent dans différents domaines de la vie des familles ; elles concernent l’éducation, la santé, la justice, le logement, l’économie… Elles relèvent de différents milieux professionnels et associatifs avec notamment les métiers de l’intervention sociale et socio-éducative, de la protection juridique des mineur·e·s comme des majeur·e·s, du milieu éducatif, du système de santé ou plus largement du care, avec en toile de fond des solidarités et valeurs à défendre, telles que la dignité et l’autonomie des personnes.

Comme en témoignent un certain nombre de textes législatifs, fondateurs au regard de la place et des droits des proches dans le paysage institutionnel (cf. notamment la loi n° 2002-2 du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale), et bien que la « famille » ne soit pas une personne morale dotée d’une personnalité juridique, ses membres sont appelés à occuper de plus en plus une place d’acteurs en tant que « co-partenaires » des professionnel·le·s et des institutions. Cette participation active correspond à une volonté d’intégration de la part d’instances décisionnelles ou peut être le fait de mobilisations collectives par le biais des associations d’usagers et usagères, de patient·e·s, ou encore de parents d’enfants placé·e·s. Leurs implications suscitent, de facto, une recomposition des rapports de pouvoirs et de savoirs entre les acteurs et actrices engagé·e·s, notamment à travers la reconnaissance de leurs compétences et de leurs expertises respectives. Enfin, cette entrée en scène de la famille interroge non seulement la nature et la qualité des relations qui lient chacun de ses membres aux professionnel·le·s mais elle témoigne plus largement d’un agir ensemble qu’il s’agit ici d’étudier.

Le dossier thématique de ce numéro 19 de Recherches Familiales, rassemble neuf contributions d’auteur·e·s francophones (France, Québec et Suisse romande) qui nous invitent, chacun·e à travers leurs recherches dans le champ de la protection de l’enfance, du soutien à la parentalité, de la périnatalité ou encore de l’accompagnement en santé, à observer et questionner les enjeux actuels soulevés par les rapports qu’entretiennent les familles, les institutions et les professionnel·le·s au regard de l’évolution et de l’institutionnalisation de leurs liens.

Depuis les années 90, l’évolution des pratiques parentales a favorisé (et a été favorisée par) l’émergence de nombreuses mesures de soutien à destination des familles, portées par différents réseaux d’acteurs et accompagnées par les pouvoirs publics. La transformation des relations professionnel·le·s-familles, dans le cadre du soutien à la parentalité, témoigne ainsi de la volonté de promouvoir des relations de coopération avec les familles et interroge de fait le champ des responsabilités partagées entre organisations, professionnel·le·s et parents, ce qui peut donner lieu à l’apparition de nouveaux métiers, professionnalités et/ou dispositifs d’accompagnement et de soutien (reaap, laep, clas, médiation familiale, divers programmes de soutien à la parentalité…). Dans un texte intitulé « Innovations, tensions et perspectives du soutien à la parentalité en France », Gérard Neyrand s’est appuyé sur une expérience de trente années de recherche sur les questions de l’enfance et de la parentalité pour rendre compte des difficultés de mise en œuvre d’un dispositif de soutien de la parentalité. Celui-ci devient le lieu de multiples tensions, tant au niveau des conceptions de l’action que de la place donnée aux parents et aux professionnel·le·s, ce qui interroge les formes de gouvernance qui lui sont octroyées. Afficher un objectif d’accompagnement des parents au sein d’une logique que l’auteur qualifie de « néolibérale » pose de multiples questions. La production d’injonctions paradoxales à l’égard des professionnel·le·s et des intervenant·e·s associatifs·ves ne manque pas d’engendrer un certain malaise que la réorientation de la gouvernance et l’institutionnalisation du soutien ne peuvent parvenir à dissiper. Selon l’auteur, l’élaboration d’une perspective coéducative/cosocialisatrice s’en retrouve d’autant plus à l’ordre du jour.

Sur la base d’une étude comprenant plusieurs dispositifs de soutien à la parentalité en France, conçus pour accueillir les publics dans leur diversité et valoriser les parents dans leurs compétences parentales, le texte d’Anne Unterreiner – intitulé « Accompagner les parents issus de l’immigration en France : typologie des pratiques d’accueil » –, rend compte précisément des pratiques d’accueil des intervenants auprès d’un public singulier, celui des familles issues de l’immigration en France. Ainsi, selon la manière avec laquelle s’articulent le fondement et la visée de l’intervention, l’auteure identifie quatre types de pratiques qui peuvent se combiner au cours d’une même action. Les intervenant·e·s peuvent : se montrer pragmatiques et s’adapter au public ; adopter une posture réflexive ; viser le soutien aux normes, pratiques et compétences parentales ; ou enjoindre les parents à suivre leur propre modèle de parentalité.

Plus particulièrement dans le cadre de la protection de l’enfance, la question de la nécessaire reconnaissance mutuelle des fonctions des différents professionnel·le·s et de la famille fait l’objet du texte de Laure Infante – intitulé « La construction de la reconnaissance mutuelle des rôles comme condition de l’intervention sociale »-, puisqu’elle explore les modalités de coopération entre les professionnel·le·s et les parents dans le cadre d’une mesure éducative particulière, parfois imposée, telle que l’action éducative en milieu ouvert (AEMO) en Suisse romande.

Laeticia Krummenacher revisite le sujet du savoir et de l’expérience relationnelle dans un texte intitulé « Savoir-faire professionnel et tissage de relations dans les visites médiatisées ». Elle propose le terme de « tissage relationnel » pour qualifier les liens qui s’établissent entre parents et professionnel·le·s en Suisse dans le cadre particulier des visites médiatisées entre un parent et un enfant durablement placé. Les professionnel·le·s doivent ainsi pouvoir prendre appui sur un savoir-faire en partie rendu invisible et sur des liens établis avec l’enfant et la famille afin que puisse émerger « un faire à trois » pour que la rencontre parent-enfant advienne dans de bonnes conditions. Dans ces espaces de soutien à la parentalité intégrés au dispositif de protection de l’enfant, le savoir-faire des professionnel·le·s, leurs compétences et leurs expertises tiennent une place essentielle dans la rencontre et l’accompagnement des familles. Leurs postures et pratiques professionnelles vont ainsi dépendre de ces savoirs spécifiques.

Gaëlle Aeby et Laurence Ossipow étudient la situation particulière de l’accueil familial en Suisse dans le texte qui traite de la posture intermédiaire du parent/professionnel et intitulé « Être parents à part entière ? Parentalité, parenté et reconnaissance des familles d’accueil en Suisse ». Contrairement à d’autres pays européens, en Suisse romande les familles d’accueil ne sont pas professionnalisées tout en ayant que rarement accès à une adoption formalisée. Les auteures étudient la façon dont se négocie ce rôle de parent d’accueil au fil du parcours de l’enfant et au moment de la majorité lorsque la contrainte institutionnelle se desserre. Elles explorent comment certains parents d’accueil se sont sentis engagés dans leur parentalité et des formes de « parenté pratique », alors que d’autres se sont davantage limités à un rôle semi-professionnel. Elles interrogent le vécu des attentes institutionnelles en proposant l’hypothèse que l’élan « altruiste » qui préside à l’accueil d’un enfant dit vulnérable n’attend pas de contre-don matériel ou pécuniaire, mais une forme de reconnaissance de la part des professionnel·le·s et des services sociaux.

Cette question de la relation famille/professionnel·le·s dans le champ de la protection de l’enfance devient cruciale lorsqu’il s’agit d’envisager un retour dans la famille d’origine d’un enfant placé. La réunification familiale constitue le projet privilégié pour un nombre important d’enfants placés en milieu dit « substitut », mais pose tout de même des défis notables aux intervenant·e·s et parents appelés à travailler conjointement pour le retour de l’enfant dans sa famille. Les enjeux relationnels que sous-tend la réunification familiale peuvent s’avérer déterminants sur le devenir et la trajectoire des familles. Doris Chateauneuf, Sylvie Drapeau, Katherine Leblanc, Marie-Christine Saint-Jacques, Julie Noël et Marie-Christine Fortin se penchent sur les relations entre intervenant·e·s et parents en contexte de réunification familiale au Québec dans leur proposition titrée « Le retour en milieu familial à la suite d’un placement en protection de l’enfance : regard sur les dynamiques relationnelles entre parents et intervenants sociaux ». Leurs résultats font état de quatre profils relationnels qui reposent sur les principales postures identifiées, correspondant à une dynamique constructive, changeante, neutre, ou tendue et difficile.

Dans un autre domaine, à d’autres moments de la vie, des parents ou des membres de la famille sont amenés à intervenir durablement dans l’accompagnement et les soins de longue durée de leurs proches (ascendant·e·s, conjoint·e·s, enfants adultes). Leurs activités dépendent des conditions de « défamilialisation » d’une part de ce travail et de sa répartition entre parents et professionnel·le·s, variable selon les dispositifs de solidarité publique, selon l’offre professionnelle et les régulations du marché des services. Ce travail familial de soutien les conduit à être engagés dans une ou plusieurs fonctions : personne à contacter, producteur ou organisateur de soins profanes, personne de confiance, curateur ou tuteur familial, personne à former dans le cadre de l’aide aux aidants… En France, par exemple, lorsque les parents sont définis comme « aidants familiaux » par la loi n° 2015-1776 du 28 décembre 2015 relative à l’adaptation de la société au vieillissement, ils occupent potentiellement une place de coordinateurs, de médiateurs, de porte-voix de leur proche à l’égard de professionnels, dans l’organisation des services à domicile ou en établissement médico-social. Les conditions de leur légitimité reposent sur leur capacité effective à intervenir dans différents dispositifs de promotion de formes de démocratie en santé, ce qui suppose de structurer des espaces dédiés aux échanges entre familles et professionnel·le·s venus accueillir la parole plurielle des acteurs au sujet de leurs expériences subjectives. Dans cette perspective, les rapports d’égalité, l’élaboration d’un cadre ainsi que le partage des décisions entre professionnel·le·s, patients, entourage familial et discours institutionnels, peuvent être analysés à travers les enjeux politiques et institutionnels mais aussi sociaux et culturels.

En particulier, dans un contexte français, l’article de Sonia Christophe et Florent Schepens – « Le façonnement de l’autonomie entre soignants, malades et proches dans les suivis d’enfants et jeunes adultes atteints de diabète de type 1 » – s’intéresse aux rapports entre la personne malade atteinte d’un diabète de type 1, sa famille et les soignant·e·s de diabétologie à partir du point de vue médical. La diabétologie normalise la trajectoire du patient ou de la patiente en faisant de lui un auto-soignant sous la vigilance de ses proches. L’accompagnement familial et médical se modifie en fonction de l’avancée en âge du diabétique. Il en ressort deux principaux résultats : d’une part, les soignant·e·s promeuvent ici une vision relationnelle de l’autonomie et, d’autre part, ils et elles développent une définition évolutive de la famille.

Cécile Bréhat, dans un texte intitulé « Le bébé né très prématurément, ses parents et les professionnels de soin : une co-construction de la maternalité ? », étudie quant à elle la relation entre la famille – plus particulièrement la mère – et les professionnel·le·s lorsqu’un enfant nait très prématurément. Dans un contexte d’une technicité extrême et avec la présence quasi constante des professionnel·le·s de soin qui garantit la survie de leur enfant, les parents doivent inventer leur parentalité naissante dans un espace dont les contours sont définis par le monde médical. À partir d’une recherche en psychopathologie clinique étudiant la construction du maternel dans les situations de naissances très prématurées, le vécu des mères ayant été hospitalisées pendant leur grossesse pour menace d’accouchement prématuré (MAP) et ayant accouché prématurément ou non permet d’envisager l’investissement psychique des relations avec les professionnel·le·s de soin comme participant aux processus de maternalisation.

À partir de la situation particulière de la covid-19 au Québec, Jean-Pierre Gagnier et Carl Lacharité étudient cette relation entre la famille et les professionnel·le·s, dans le texte intitulé « La rencontre familles-professionnels au temps de la covid-19 ». Quels ont été les effets transformatifs de cette crise sanitaire et sociale causée par la pandémie sur les relations entre les un·e·s et les autres ? Cette question est abordée à travers l’analyse des répercussions du sentiment d’insécurité et de l’imposition de mesures sanitaires, tant au sein de la vie des familles que sur le plan personnel, ainsi que dans le travail des professionnel·le·s. Le concept de « rencontre » est employé comme cadre d’analyse afin d’éclairer ce qui se joue depuis deux ans entre les familles et les professionnel·le·s en charge de les aider, de les soutenir et de les accompagner. Cette analyse permet de dégager certains repères pour la pratique professionnelle actuelle et laisse entrevoir ce qui méritera d’être consolidé à la sortie de crise.

Ainsi, dans des contextes variés et à la faveur de ces reconfigurations relationnelles, les différents articles présentent les logiques de négociation, d’alliance et de partenariat à l’œuvre, aux plans formel et informel, ainsi que les conditions de faisabilité et de viabilité de ces modalités partenariales (dans les écoles, services de protection, services sociaux et d’aide, tribunaux, hôpitaux, associations d’usagers et usagères…). Les analyses mobilisent et discutent les sujets controversés de l’expertise parentale ; de l’association, de l’implication et de la participation des familles ; de l’information partagée ; ou encore les conditions démocratiques d’une décision thérapeutique ou socio-éducative. Les résultats présentés questionnent d’une part, la reconnaissance effective des compétences et savoirs profanes et, d’autre part, le sujet de l’autonomie de la personne qui seule ou avec l’aide de ses proches, doit être intégrée en toutes circonstances au processus de prise de décision.


[1] Le terme de garde alternée est toujours en usage en Suisse, comme en Belgique, alors qu’il a disparu en France avec la loi n° 87-570 du 22 juillet 1987, dite Malhuret, qui remplace l’ancienne notion de garde par la distinction entre autorité parentale sur
l’enfant et résidence de celui-ci. On parle dès lors de résidence alternée.

Sommaire

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Notes de lecture/Vient de paraître

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