Former les mandataires et au-delà

La formation obligatoire des mandataires fait l’objet d’un texte qui en précise le contenu. L’arrêté du 2 janvier 2009, qui détaille les modules, a été récemment complété par l’arrêté du 7 décembre 2021, qui présente un référentiel de compétences. Quel inventaire ! Les champs de compétences sont très larges. Ils mobilisent des connaissances juridiques, psychologiques, de gestion et des savoir-faire relationnels auprès de publics fragilisés variés.

Réalités Familiales n° 138/139
Frédéric Duriez, Unafor

Réalités Familiales n° 138/139

Frédéric Duriez, Directeur de l’Unafor

La formation couvre ainsi de nombreux domaines de connaissance que les mandataires doivent mobiliser dans des contextes souvent tendus et délicats tout en gardant à l’esprit la finalité de la mesure : l’intérêt et l’autonomie de la personne protégée.

Former pour être support à la prise de décision


La formation des mandataires ne peut viser à produire des spécialistes de tout, qui interviendraient seuls sur les situations, et prendraient des décisions « pour le bien des personnes ». « Rien pour moi sans moi » affirment, au contraire, les acteurs du monde du handicap et de la dépendance. L’article 12 de la Convention internationale des Droits des Personnes handicapées (CIDPH), ratifiée par la France en 2010, réaffirme ce principe. Il prévoit que les professionnels se positionnent dans un rôle de support à la prise de décision.

Notre groupe de travail Erasmus + « Ad-choisir »*, initié par l’Uraf Occitanie en 2018, a clarifié ce concept de support. Il s’agit d’apporter une information adaptée, de conforter les personnes accompagnées dans leur légitimité, mais aussi de travailler avec leur environnement, pour qu’elles ne soient pas régulièrement renvoyées à leurs déficiences. L’article 457-1 du Code civil prévoit ainsi que le mandataire informe la personne, mais que les tiers continuent de lui apporter une information adaptée. La technicité et la connaissance des procédures et des mécanismes restent essentielles, mais sans prendre la main sur les décisions. De même, les interlocuteurs du majeur protégé ne doivent pas se reposer sur le mandataire pour transmettre les informations ou effectuer les démarches.

Former des professionnels qui interviennent dans des contextes tendus


La compétence ne se résume pas à une addition de savoir, savoir-faire et savoir-être. Elle est toujours contextualisée. Les professionnels qui exercent des mesures de protection peuvent attester que ce contexte joue un rôle particulièrement fort dans leur métier. L’environnement social et les relations de la personne protégée sont déterminants, comme en témoignent les dizaines de mails et d’appels téléphoniques reçus quotidiennement par les mandataires. La mesure est souvent prononcée quand plus personne ne parvient à faire face. La charge mentale pour le mandataire devient considérable. Il faut lutter pour garder une capacité de recul.

Ce que l’on sait et que l’on pourrait reproduire ou expliquer dans une évaluation scolaire peut vite s’effondrer quand il faut agir à bref délai sur plusieurs fronts. La capacité à mobiliser des compétences s’amoindrit dans un contexte où la santé, la sécurité ou les ressources des personnes sont compromises.

« On apprend toujours seul, mais jamais sans les autres », explique Philippe Carré, professeur en Sciences de l’Éducation à l’université de Paris Nanterre. C’est pourquoi les échanges entre pairs, les études de cas, les travaux en groupe, les partages avec des professionnels sur des situations concrètes sont essentiels, surtout lorsqu’on vise un changement de posture.

Vers des organisations apprenantes


L’évolution des pratiques ne viendra pas simplement de la formation des mandataires. Les associations doivent surmonter leurs propres freins, tout comme les partenaires et aussi parfois les personnes protégées elles-mêmes.

La formation n’est efficace que si elle concerne l’ensemble des acteurs. Les nouveaux salariés suivent la formation obligatoire pour obtenir le certificat national de compétence, mais encore faut-il étayer l’action des mandataires par une formation professionnelle continue, proposer des formations aux chefs de service, et ne pas oublier les assistants et comptables tutélaires ni le personnel d’accueil. L’enjeu consiste alors à construire une culture commune, à partager une vision de ce que sont les mesures et les limites de l’intervention. Ce partage est indispensable, pour éviter que les acquis ne s’effritent au retour de stage.

L’Unafor a fait le choix de proposer des formations destinées à l’ensemble des professionnels qui concourent à l’exercice des mesures. Les équipes témoignent d’une meilleure compréhension du sens de leur action, d’une cohésion renforcée, et d’une plus grande effectivité du projet de service.

Former au-delà des mandataires


Certes, les équipes des services mandataires doivent être cohérentes dans leur compréhension des mandats qui leur sont confiés. En particulier, elles doivent savoir à quel moment la personne agit seule, et à quel moment elle bénéficie d’une assistance ou d’une représentation. Mais prenons le cas d’une personne protégée encouragée par le mandataire à faire une démarche seule, et qui entend au guichet qu’elle doit revenir avec son curateur. Elle sera vite renvoyée à sa vulnérabilité, voire niée en tant que citoyenne. Comment travailler l’autonomie d’une personne, si ses interlocuteurs la ramènent régulièrement à sa mesure de protection ?

Tous les participants européens du projet Erasmus-+ « AD Choisir » l’expriment. Les mandataires doivent apprendre à communiquer avec leurs partenaires, pour éviter que les personnes protégées ne soient victimes de discrimination lorsqu’elles engagent des démarches seules. Former, informer, sensibiliser, clarifier les rôles sont des actions qui gagnent en efficacité quand elles sont menées de concert, et qu’elles touchent l’ensemble des intervenants.
Former les personnes protégées ?
Est-ce là tout ? À Gérone, près de Barcelone, Lluis Maroyo et ses équipes du Campus Arnau forment aussi les personnes protégées. Leur dire que c’est à elles de décider ou leur confirmer que c’est ce que la loi prévoit ne résout pas tout ! Il faut qu’elles se sentent légitimes et qu’elles parviennent à traiter l’information qu’on leur apporte.

Nous avons travaillé avec Campus Arnau à la réalisation d’un support de communication sur l’autostigmatisation. Des personnes qui bénéficient d’une mesure de protection témoignent face caméra de nombreuses situations où elles sont renvoyées à leurs déficiences, et priées de se présenter avec un professionnel. Progressivement, le sentiment d’efficacité des personnes est amoindri. Elles doutent de leur capacité, et surtout elles anticipent une complexification des démarches sans la présence du mandataire. Elles se mettent alors sur le côté et laissent d’autres faire à leur place.

Apprendre à repérer les points d’appui dans l’environnement de la personne


La formation des mandataires s’inscrit donc dans une démarche plus large. Elle insiste sur les postures professionnelles. Il s’agit souvent de résister à la tentation d’en faire trop et de devenir indispensable. Le diagnostic partagé avec la personne, le repérage des points forts et des éléments dans son environnement sur lesquels elle pourra s’appuyer peuvent favoriser l’autonomie et l’autodétermination.

À Berlin, nous avons rencontré une personne protégée qui nous a présenté l’ouverture de sa mesure. Alors que cette étape demande un travail administratif et formel, le délégué a commencé par lui parler de football. Le majeur avait fait carrière en tant que professionnel, et était donc incollable sur ces questions. Le mandataire l’a amené sur « un terrain » où il était à l’aise. L’échange tournait même à son avantage ! Ces premières minutes d’entretien ont construit une relation équilibrée et de confiance indispensable dans l’exercice de la mesure.

Être support dans la prise de décision suppose aussi des compétences de communication renforcées. Les mandataires adaptent l’information qu’ils apportent. Ils sélectionnent les outils dans une palette qui s’élargit : la pair-aidance, les actions collectives, la rédaction « facile à lire et à comprendre » (FALC) peuvent rendre effective la prise de décision. À l’Udaf de l’Essonne, des salariés mettent en scène des élections pour que les personnes protégées s’habituent au parcours au sein du bureau de vote et abordent plus sereinement l’exercice de leur citoyenneté.

La formation des délégués mandataires ne peut se limiter à un enseignement disciplinaire. Elle doit s’ouvrir sur les situations concrètes et complexes rencontrées par les professionnels et se décliner auprès de l’ensemble des services. Cela représente un investissement important de la part des services mandataires qui s’accommode mal d’une rotation importante des équipes. Pour que la formation se traduise dans la pratique, il faut que les équipes se stabilisent un minimum, et donc que les métiers soient attractifs, valorisés et reconnus. l