Le projet Ad-choisir

Lorsque Stéphane Michelin, directeur de l’Udaf du Tarn-et-Garonne, a contacté l’Unafor pour nous proposer d’être partenaires du projet Erasmus + Ad-Choisir qu’il venait de lancer avec l’Uraf Occitanie, nous nous sommes immédiatement inscrits dans cette démarche.

Réalités Familiales n° 138/139
Elisabeth Luisin-Pagnod RF 138-139

Réalités Familiales n° 138/139

Elisabeth Luisin-Pagnod, Unafor

L’occasion de travailler avec des collègues d’autres pays européens autour de la protection juridique des majeurs – le cœur de métier de l’Unafor depuis sa création – était trop tentante pour être déclinée. Nous y avons vu la possibilité de revisiter nos certitudes, d’apprendre des autres, de penser autrement, et de revenir, à l’issue du programme, avec d’autres perspectives.

Le programme Ad-Choisir, en dépit des conditions très particulières de son déroulement en raison du Covid-19, nous a permis d’explorer autrement la protection juridique des majeurs. À titre personnel, il est indéniable que ces deux années passées à regarder la réalité de chacun des partenaires et à observer leur rapport à la CIDPH (Convention internationale des droits des personnes handicapées) ont grandement modifié ma façon d’intervenir en formation.

Dans chaque pays visité, une expérience, une vision, un outil se sont inscrits dans ma réflexion personnelle et ont enrichi mon point de vue.
Progressivement, il m’est apparu comme une évidence que le respect des personnes protégées relevait, en premier lieu, du regard porté sur eux par les professionnels chargés de les accompagner, bien plus que de la législation en vigueur.

Des expériences inspirantes


L’exemple de la Fondation Ramon Noguerra en Catalogne. Le PCP (plan centré sur la personne) que nous a présenté la Fondation Ramon Noguerra en Catalogne m’a amenée à m’interroger sur le DIPM (document individuel de protection des majeurs). Issu de la loi du 2 janvier 2002, et destiné, à l’origine à faciliter l’expression de la volonté du majeur, le DIPM devait servir à s’assurer que, autant que possible, l’action du mandataire judiciaire serait conduite dans le respect de la volonté du majeur protégé. La Cour des comptes, dans son rapport de 20161, a qualifié les DIPM des structures tutélaires de « coquilles vides ». Les difficultés qu’ont éprouvées les professionnels à mettre en œuvre ce DIPM les ont rapidement conduits à perdre le sens initial de ce document.

À la différence du DIPM qui doit être établi dans les trois mois qui suivent la notification de la mesure, le PCP catalan se fait au rythme de la personne accompagnée. Ou ne se fait pas si elle ne le souhaite pas.

Le PCP est conçu comme un outil qui met en lumière l’importance des objectifs, des désirs de la personne et d’en déduire les moyens à mettre en œuvre pour y parvenir. Bien loin de se focaliser sur des éléments purement administratifs et financiers, le PCP s’attache à convoquer tous les champs possibles : émotionnel, matériel, bien-être physique, autodétermination, relations interpersonnelles et familiales, développement personnel, droits, inclusion sociale. Cette approche se concentre sur les capacités de la personne ainsi que sur ses points forts et sur ses préférences.
On peut penser que ce schéma est davantage adapté aux personnes handicapées qui vivent en établissement. Pourtant, pourquoi ne pas s’en inspirer pour faire évoluer le DIPM dans la même direction ? Pour permettre aux mandataires judiciaires de redonner du sens à ce document qui, aujourd’hui encore, en est trop souvent dépourvu ? Pour, finalement, refaire du DIPM un outil de sollicitude, ce qui était à l’origine son objectif premier.

L’exemple de l’Allemagne. À Berlin, nous avons vu l’accompagnement du choix de la personne, dans un pays qui ne connaît plus de mesure de représentation. Cela interroge le modèle français qui, pour l’instant, est encore partagé entre mesures de représentation (la tutelle) et mesures d’assistance (la curatelle). Au-delà de l’apparente fracture entre ces deux systèmes, nous avons été frappés par la volonté des juges, comme des professionnels allemands, de travailler à partir de ce qui importe pour le majeur protégé. Ainsi, l’exemple d’un ancien entraîneur de football nous paraît à cet égard remarquable : le juge avait pris soin de nommer un professionnel lui-même passionné de foot, qui avait fait front face à des partenaires décontenancés par le refus du majeur protégé de débuter les soins pour son cancer avant la fin de la coupe du monde, car il voulait absolument voir l’intégralité des matchs. Le résultat aurait été identique en France, parce qu’il est impossible d’obliger quelqu’un à se soigner s’il le refuse, quand bien même il serait en tutelle. Mais ce qui était nouveau pour moi tenait à l’approche militante pour garantir que la volonté de la personne protégée soit respectée.

L’exemple des Udaf d’Occitanie. Les Udaf d’Occitanie, qui ont accueilli les participants à ce projet, ont montré des expériences tout à fait intéressantes autour de la participation : l’organisation de la vie entre pairs. Mais est-on toujours dans la protection juridique des majeurs ? Des majeurs protégés capables de s’auto-organiser, avec de l’aide éventuellement, nécessitent-ils une mesure de protection qui, fatalement, les prive d’une partie de leur capacité à agir ? Quoi qu’il en soit, le travail réalisé pour que les majeurs protégés s’entraident et s’organisent, est tout à fait intéressant. Les personnes protégées retrouvent une confiance en elles-mêmes, que leur environnement, les partenaires, les familles, et parfois même les professionnels eux-mêmes mettent à mal.

L’exemple de la Slovaquie. Quant à la Slovaquie, les réflexions menées autour de la citoyenneté des personnes vulnérables dans le cadre de « Emploi et travail » et les discussions organisées avec les représentants des ministères ont été particulièrement intéressantes. Malheureusement, en raison de la situation sanitaire, nous n’avons pas pu nous rendre en Slovaquie et n’avons pu échanger que par visio.

La qualité de la prestation dépend de l’engagement des professionnels et non de la seule législation en vigueur


Le Luxembourg vit avec une législation proche de la loi française de 1968. La réforme du 5 mars 2007, de même que celle du 23 mars 2019, n’ont pas passé la frontière. Probablement parce que le Luxembourg et ses professionnels de la protection juridique n’ont pas besoin d’un texte de loi pour adapter d’eux-mêmes leurs pratiques. Ils ont comme référence la CIDPH dans leurs réflexions depuis bien plus longtemps que les professionnels français. Assister les majeurs protégés dans leurs décisions et activités au lieu de décider et d’agir à leur place ; respecter leurs volontés et leurs préférences, quelle que soit la mesure de protection, est au cœur de leur action.

En France, en revanche, il semble que l’on ait besoin que la loi nous contraigne pour que nos pratiques changent. Ainsi, les juges des tutelles avaient-ils une grande tendance à retirer le droit de vote aux majeurs en tutelle, alors que la loi de 2007 leur avait redonné ce droit, laissant la possibilité aux magistrats de le retirer lorsqu’ils le jugeaient nécessaire. Puisque la pratique n’évoluait pas assez vite, la loi de 2019 a réglé cette question. On ne peut plus désormais retirer le droit de vote à une personne protégée.

De même, les curateurs manifestaient-ils une grande frilosité lorsque les majeurs en curatelle leur demandaient l’autorisation de se marier. La volonté de les protéger contre d’éventuelles déconvenues était très forte ; beaucoup trop sans doute. La loi de 2019 a également mis fin au problème. Depuis, il ne semble pas que cette liberté retrouvée ait conduit à des difficultés nouvelles.

Il arrive même que, pour les mêmes raisons de prudence, la loi ne soit pas correctement appliquée. C’est le cas pour la remise de l’excédent en curatelle. L’article 472 du Code civil ne prête pourtant pas à interprétation. Il est parfaitement clair. Son application reste cependant compliquée et rarement systématique.
Si la France devait aller, comme semble le suggérer l’évolution des législations de pays proches, vers une mesure unique de protection, calquée sur le modèle de la curatelle, il ne fait aucun doute qu’il y aura alors un immense travail à faire avec les professionnels pour qu’ils puissent s’approprier cette nouvelle mesure et la philosophie qui la sous-tend. Il est évident que leur fonctionnement ultra-protecteur n’est pas toujours rationnel, même s’il résulte toujours d’une volonté de bien faire.

Conclusion


Le projet Ad-Choisir a été l’occasion de comprendre que, au-delà de la législation en vigueur dans chacun des États concernés, et au-delà des façons de travailler de nos partenaires, chacun cherchait à rendre les personnes protégées citoyennes, décideuses de leur vie. Chacun a étudié et présenté aux autres ce qui était réalisé dans son pays, selon un thème décidé au départ. Chacun a aussi pu comparer ce qui lui était présenté avec ce qu’il connait de son propre pays. Chaque configuration a ses spécificités, issues de son histoire, de l’organisation de son système médical et médico-social, mais finalement, chacun reconnaît chez l’autre les mêmes politiques.

Dès lors, il faut chercher ailleurs l’explication de ce sentiment de grand écart entre les uns et les autres


L’explication se trouve, en grande partie, dans le temps que l’on consacre aux majeurs protégés. Écouter l’autre, lui montrer que sa parole a de la valeur, chercher à la comprendre, lui expliquer comment les choses s’organisent, l’accompagner partout où c’est nécessaire pour que sa qualité de citoyen à part entière soit reconnue, l’aider à défendre ses droits, lui rendre sa fierté, l’aider à définir ce qui lui tient à cœur, ce qu’il veut faire de sa vie, être à ses côtés pour aller vers ce but… tout cela nécessite du temps ; beaucoup.

Réfléchir à ce que l’on fait ou pas et pourquoi, échanger avec d’autres pour avancer dans nos réflexions, trouver du sens à l’action collective, débattre autour des recommandations de bonnes pratiques professionnelles, tout cela demande du temps ; beaucoup.

Les enseignements tirés des bonnes pratiques détectées chez nos partenaires d’Ad-Choisir ont permis à l’Unafor d’intégrer dans ses programmes la CIDPH. C’est un argument supplémentaire pour faire appliquer la législation française actuelle, anticiper les évolutions à venir et nous y préparer.

Passer d’un système paternaliste à l’accompagnement à la prise de décision nécessite, en effet, de travailler à la transformation des compétences professionnelles pour la mise en œuvre de nouvelles pratiques. Et peut-être, plus encore, à dépasser les résistances au changement qui peuvent être imputées aussi aux équipes encadrantes.

Mais le changement majeur de paradigme, auquel nous appellent la CIDPH et nos collègues d’Ad-Choisir, reste cependant grandement dépendant de l’organisation de la protection juridique en France et notamment de son financement.

Nos deux années de participation au programme Ad-Choisir ont enrichi nos connaissances et nos pratiques. Nous envisageons par l’observation des partenaires, la possibilité de réfléchir différemment, de ne pas rester bloqués dans notre propre schéma de pensée et donc de nous imaginer acteurs du changement. 

« Je me suis retrouvé en fauteuil roulant, en 2001, suite à un accident du travail. J’avais tout le côté gauche paralysé. J’ai dû réapprendre à parler, à marcher. (…) Ça me soulage d’avoir une mandataire. J’essaie de me débrouiller un maximum, mais je n’arrive pas à être totalement autonome. Elle s’occupe de mon argent, de mes papiers et moi, je peux me concentrer sur mon combat. Je suis encore jeune, je dois tout faire pour récupérer mes facultés, après ce sera trop tard. Être sous protection me permet de rester focalisé sur cette étape, la fin de ma rééducation. » 

Témoignage