Les gains socio-économiques de la protection juridique des majeurs

L’Interfédération PJM, regroupant l’Unaf, la Fnat et l’Unapei, a publié en octobre 2020 une étude inédite sur les gains socio-économiques de la protection juridique des majeurs. Elle a été fortement relayée par les médias. L’Interfédération PJM a présenté les résultats de cette étude tout au long de l’année 2021 aux décideurs publics : cabinet de la Présidence de la République, cabinet du Premier ministre et cabinets des ministères qui sont concernés par la PJM (Justice, Autonomie, Comptes publics…), parlementaires, Mission Laforcade sur les métiers de l’accompagnement et du grand âge, etc.

Réalités Familiales n° 138/139
Valérie Bonne RF 138-139

Réalités Familiales n° 138/139

Valérie Bonne, Coordonnatrice du Pôle Protection et Droit des Personnes

Pourquoi une étude d’impact de la PJM ?


L’idée d’une étude d’impact de la PJM est née du souhait de présenter la valeur ajoutée des mesures de protection qui sont, le plus souvent, vues uniquement comme des mesures restrictives de liberté.
Les mesures de protection sont assurées dans le respect des droits fondamentaux des personnes. Le rôle des mandataires judiciaires à la protection des majeurs (MJPM) dans la protection des intérêts des personnes vulnérables et la promotion de leur autonomie est donc fondamental. Nos trois réseaux de service sont convaincus de l’importance des missions des MJPM, l’idée était d’objectiver l’impact de l’action des mandataires professionnels.

Une étude réalisée par un cabinet indépendant selon une méthode reconnue


L’Interfédération PJM a fait appel au cabinet d’études Citizing, cabinet indépendant spécialisé dans l’évaluation des politiques publiques et leurs gains socio-économiques.
La méthodologie utilisée par Citizing est une méthode scientifiquement reconnue qui vérifie si un dispositif crée plus de valeur qu’il ne coûte à la collectivité. C’est la méthode recommandée par le Secrétariat général pour l’Investissement et par France Stratégie pour évaluer l’opportunité de financer des projets publics.
L’évaluation socio-économique de la PJM est une étude inédite, puisque cette méthodologie n’a jamais été utilisée auparavant pour cette politique publique.
La valeur créée par la politique publique évaluée consiste en des gains socio-économiques de différentes natures (financiers, sociaux, sociétaux, environnementaux, etc.). Il s’agit à la fois de gains collectifs pour la société (ce qui comprend notamment des gains pour les finances publiques) et de gains individuels pour la personne et pour son entourage.
Après avoir déterminé les impacts de la PJM (en comparant la situation des personnes avec ou sans mesure de protection), un travail est réalisé pour établir le lien entre chaque impact et la mesure de protection et en déterminer l’ampleur. Ainsi, par une méthodologie rigoureuse, les gains présentés dans l’étude sont uniquement les gains assurés par la PJM, sans considérer les apports d’autres politiques publiques.
Enfin, afin de pouvoir comparer les impacts avec les coûts, la méthodologie exige d’utiliser la même unité de valeur pour les coûts pour les finances publiques et pour les gains de nature diversifiée. Les gains sont donc monétisés.
À chaque étape, le Cabinet Citizing s’est fondé sur les hypothèses les plus prudentes. Les résultats chiffrés de l’étude représentent donc une fourchette basse des gains socio-économiques de la PJM.

Le périmètre de l’étude


L’étude a porté sur les mesures gérées par des mandataires professionnels (services associatifs et mandataires individuels). Les mesures gérées par les mandataires préposés d’établissement n’ont pas été prises en compte, car leur nombre n’est pas connu précisément et leur financement n’est pas assuré par le budget de l’État, contrairement aux mesures assurées par les deux autres modes d’exercice.
L’étude porte donc sur environ 500 000 mesures, dont 400 000 sont exercées par les associations et 100 000 par des mandataires libéraux.
Les personnes concernées sont pour près de la moitié des personnes souffrant de troubles psychiques (44 %) et pour le reste des personnes handicapées (30 %) ou des personnes âgées (23 %), selon l’étude de l’ANCREAI de 2017.

La diversité des impacts de la PJM


L’action des MJPM porte sur de nombreux aspects de la vie civile des personnes protégées : logement, santé, accès aux droits, budget, patrimoine… Cela explique la diversité des impacts relevés par l’étude. Huit impacts ont été chiffrés par Citizing et un 9e impact reste non quantifiable. En effet, au-delà des chiffres, il ne faut évidemment pas oublier que le sens de l’action des mandataires est de faire respecter les droits fondamentaux des personnes vulnérables et de leur assurer le plus d’autonomie possible.
La mesure de protection a clairement une visée d’inclusion des personnes dans la société et donc l’impact en termes d’autonomie, de citoyenneté, de dignité est fondamental même s’il n’est pas chiffrable.

La moitié des impacts concerne la réduction de la pauvreté et du sans-abrisme


La réduction de la pauvreté (pour les personnes âgées et handicapées) et la réduction du sans-abrisme (pour les personnes souffrant de troubles psychiques) constituent ensemble la moitié de la valorisation calculée par Citizing.
C’est l’impact le plus important. En effet, 50 % des personnes, dont la mesure est gérée par les professionnels, vivent sous le seuil de pauvreté. Cependant, parmi l’autre moitié, beaucoup ne dépassent ce seuil que de peu.
L’impact mesuré est bien le surcoût pour les finances publiques, sans l’action des professionnels de la PJM, qui prend en compte l’augmentation des dépenses publiques par l’octroi de droits, largement compensée par la réduction de la pauvreté et du sans-abrisme.
L’étude dévoile ainsi que l’intervention des mandataires pour le maintien et le recours aux droits sociaux permet d’éviter le basculement de plus de 70 000 personnes sous le seuil de pauvreté et un surcoût de 360 millions d’euros par an.
Sans l’intervention des mandataires, plus de 20 000 personnes deviendraient sans-abri chaque année avec un coût estimé à 208 millions d’euros par an supplémentaire pour l’État.

Les autres impacts


Parmi les autres impacts, on trouve l’entrée non choisie en institution, c’est-à-dire une entrée qui aurait pu être évitée (par la mise en place d’aide à domicile) ou qui aurait pu être anticipée et bien préparée. Cet impact montre l’importance du travail du MJPM qui porte ici sur le respect du choix de la personne et la mise en place de solutions pour faire face à une perte d’autonomie, en fonction de la volonté de la personne, de sa situation et de son budget.
Près de la moitié des personnes dont les mesures sont gérées par des professionnels présentent des troubles psychiques. Du fait de leur protection, ces personnes sont beaucoup moins soumises à une rupture éventuelle de leurs soins, qui entraîne des hospitalisations en urgence par exemple. Le travail des mandataires réduit également le sentiment d’isolement et contribue ainsi à la stabilisation psychologique des personnes.
L’action des MJPM a aussi un impact en termes de maltraitance financière évitée, de réduction des découverts bancaires et de valorisation du patrimoine. En effet, même si de nombreuses personnes protégées vivent sous le seuil de pauvreté, nombreuses sont celles qui disposent d’encours sur livrets, des contrats d’assurance-vie ou sont propriétaires de patrimoine immobilier.
Par ailleurs le mandataire ne remplace en aucun cas la famille, mais la gestion de la mesure par un professionnel a clairement un impact pour le répit des aidants familiaux qui restent aux côtés de la personne protégée, notamment pour limiter les risques d’épuisement.

Plus d’un milliard de gains socio-économiques


L’étude aboutit à un total de gains socio-économiques de plus d’un milliard d’euros par an. Le budget de l’État consacré au financement des services associatifs et des mandataires individuels était de 684 millions d’euros en 2020, année de réalisation de l’étude. La comparaison coûts/gains donne donc un ratio de 1,5.
L’étude menée par Citizing montre donc que la protection juridique des majeurs est une politique publique rentable : la négliger engendrerait des coûts économiques et sociaux plus importants que le budget que l’État lui consacre actuellement.
Cette étude nous invite à changer de regard et à ne plus voir les dépenses publiques comme un coût. Il est indispensable que les décideurs publics prennent conscience que la protection juridique des majeurs est un investissement, avec des choix de société à prendre sur le long terme.

Lire l’étude

Etude d’impact sur les gains socio-économiques de la PJM
Tableau gains sociaux économiques